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volontiers. Paysan, Verdi l’était d’abord par l’amour de la campagne, par la passion de la terre. Il l’était encore autrement, à la manière aussi de Mistral, par une noblesse rustique, par une sorte d’instinctive et primitive simplicité.

Quand je vins à Milan pour y entendre son Otello, — c’était en février 1886, — je ne le connaissais pas lui-même. La représentation fut retardée et je me promettais d’étudier au piano l’œuvre nouvelle. Mais on m’avertit que l’appartement de Verdi se trouvait au-dessous de ma chambre, et je m’abstins. Je fis du moins demander au maître la permission de lui présenter mes hommages. Il me pria de l’excuser, et pour une raison qu’on me rapporta de sa part : j’avais à juger son ouvrage et son désir était que rien, surtout son bienveillant accueil, ne pût gêner l’entière liberté de mon jugement. Il ajoutait que, dès le lendemain de la « première, » quelle que fût mon opinion, il aurait plaisir à me recevoir. J’attendis moins longtemps, et le soir même de la représentation, je pus témoigner à Verdi ma libre, très libre admiration. Le soir même, et quel soir ! après quel triomphe ! après quel retour du théâtre à l’hôtel, parmi les flambeaux, les cris et les fleurs ! A l’hôtel, dans la rue, dans la ville entière, tout était enthousiasme, délire à l’italienne, tout, excepté le cœur du grand Italien. Pendant une quinzaine de jours, il me fut donné d’être son voisin, maintes fois son commensal, et déjà son ami. Plus tard, beaucoup plus tard, en réponse à certain article de journal, il m’écrivait avec autant de modestie que d’indulgence : « Oh ! la belle lettre ! la belle lettre que vous avez écrite à mon adresse ! C’est dommage seulement que vous n’ayez pas eu dans les mains un sujet plus important. Quoi qu’il en soit, je ne m’en plains pas. Vous et tous les critiques peuvent parler de l’artiste comme ils veulent, mais je vous remercie de toute mon âme d’avoir eu des paroles si nobles et si dignes pour l’homme... »

De l’homme que fut cet artiste, on ne parlera jamais trop noblement. Les jours passés à Milan avec lui m’ont laissé de chers souvenirs. Ce prétendu paysan avait des manières de grand seigneur. A la fierté de son génie, il n’en mêlait pas l’orgueil, encore moins la vanité. Chaque soir à sa table, sa personne et son œuvre étaient l’unique sujet banni par son ordre de nos entretiens. Un matin, devant moi, l’envoyé d’un grand journal parisien lui demanda l’autorisation de publier un fragment