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de vérités à ces gens-là depuis un siècle. » Son éloquence trouvait de beaux mots charitables : « Nous n’emporterons là-haut que ce que nous aurons donné de nous-mêmes ici-bas. » Ainsi rien d’humain ne lui était étranger. Inutile d’ajouter : rien non plus de féminin, toute sa musique en porte le délicieux témoignage. Quelquefois, quand il parlait d’elle, sans y penser et comme d’instinct, il la féminisait encore. « Beati qui lavant stolas suas in sanguine Agni. » Un jour qu’il commentait devant moi cette phrase de Mors et vita : « Tu vois, me disait-il, elles lavent, elles lavent du lin. » Et ce n’était pas des bienheureux, c’était des bienheureuses qu’il voyait lui-même, lavandières célestes, plonger leurs tuniques dans le sang de l’Agneau. Il eut toujours le goût, la passion du divin. Son œuvre religieuse est d’un croyant, d’un théologien même, et mystique, autant que d’un artiste. Peu s’en était fallu jadis, on le sait, qu’elle ne fût d’un prêtre. Plus tard, il écrivait de Rome, de la villa Médicis : « J’ai les yeux sur Saint-Pierre et le cœur dedans. » Je conserve une Imitation par lui donnée à ma mère, avec cette épigraphe : « « A mon amie Mme Bellaigue. Le Thabor est le mode majeur et le Calvaire le mode mineur. Tous les deux ont la même tonique, Dieu. »

Je m’arrête. J’en ai dit ou redit assez du maître que j’ai le plus aimé. J’aurais beau dire encore, je ne serais jamais digne du salut que naguère, aux fêtes du cinquantenaire de Mireille, à Saint-Remy de Provence, Mistral, en riant, m’adressa : « Voilà celui qui nous a donné l’évangile de Gounod selon saint Jean. »

Par l’apparence extérieure, par le caractère, comme par le génie, aucun musicien ne ressembla moins à Gounod que Verdi. Également beaux, les yeux de l’un et ceux de l’autre ne l’étaient pas de la même beauté. Le regard de Gounod rayonnait plus loin, celui de Verdi pénétrait plus avant. Et comme le feu de ses prunelles, il semblait que la chaleur de son âme se concentrât plutôt que de se répandre. Rossini passe pour avoir dit de la musique de Verdi : « C’est oune mousique avec oun casque. » Sa musique peut-être : elle fut guerrière, héroïque même, lorsqu’elle appela sa patrie à la liberté. Mais lui, le musicien, se contentait d’un feutre à larges ailes, comme en portait Mistral, comme en portent les paysans, au nombre desquels le maestro d’Italie, autant que le poète de Provence, aima toujours à se compter, « Io sono un paesano, » répétait-il