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qu’à l’autel. Voici le fils de la belle duchesse de Longueville passant sur le quai du Louvre, la tête perdue jusqu’aux épaules dans un immense chapeau ridicule orné d’une branche de buis, en « marmottant dans son diurnal. » Il est en soutanelle, habillé comme « un prêtre mendiant, » « crotté comme un fou ou comme un porteur de chaise, » « plein de vermine, » car il change rarement de linge et compte même acheter « une chemise de chamois pour n’en changer jamais. » Il s’embarque sur la Seine, il descend sur l’autre rive. Le batelier a saisi le chapeau de ce passager étrange, qui ne veut pas payer, et celui du page déguisé en prêtre qui l’accompagne. On aperçoit un peu plus loin l’abbé nu-tête, déambulant, « l’air inquiet, agité, riant sans sujet, parlant seul, » marchant d’une vitesse prodigieuse et sur la pointe des pieds. S’il était en carrosse, il sauterait brusquement par-dessus la portière, et qui pourrait le rattraper ? Maintenant, il vient retirer son chapeau, car une femme de l’hôtel de Longueville lui a prêté « quelque argent ; » et, « surpris de ne plus trouver sa branche de buis, » il se fâche.

Il est aisé de concevoir que la grand’chambre ait refusé d’appliquer à l’abbé d’Orléans, ainsi que Mme de Nemours le voulait, les paroles du Livre de la Sagesse : « Nos insensati vitam illorum æstimabamus insaniam (Fous que nous étions, nous estimions leur vie une folie.)» Les juges ne crurent point devoir considérer l’abbé d’Orléans comme un de ces saints bizarres dont l’originalité scandalise les enfants du siècle et les faibles. Bien que, d’après un témoin, il poussât l’humilité jusqu’à dire à un aide de cuisine : « Mon frère, ne m’appelle plus Son Altesse, appelle-moi plutôt Sa Petitesse, » la Cour estima que l’abbé d’Orléans n’était pas un saint, mais un fou.

Malgré l’éloquence de d’Aguesseau qui fut « extraordinaire, » le prince de Conti ne gagna définitivement son procès que le 13 décembre suivant. Des vingt-trois juges, vingt et un lui donnèrent gain de cause. Peu lui importait que les suffrages ne fussent pas unanimes, de n’avoir convaincu ni le frère de Catinat, ni l’abbé Brisart, qui siégeaient à la grand’chambre ; il héritait des biens laissés par son cousin germain, l’abbé d’Orléans.

Quatorze cent mille livres n’étaient pas pour déplaire à un prince qui avait la réputation d’être quelque peu intéressé. De plus, cette bienheureuse sentence confirmait ses droits sur la principauté de Neuchâtel, une principauté qu’on pouvait gouverner