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qu’elle ne pouvait voir un Matignon sans cracher de la sorte. » Tout cela, parce qu’en 1596, Éléonore d’Orléans avait épousé, contre le gré de la maison de Longueville, le second fils du maréchal de Matignon !

Une telle femme n’était pas faite pour attendre, en ce qui concernait Neuchâtel, où elle était la plus forte, la sentence du Parlement de Paris, devant lequel le Roi avait évoqué l’affaire de la succession de Longueville. Dès 1694, elle avait déclaré qu’elle ne reconnaissait les juridictions du Royaume que pour les biens situés en France. Ses soixante-neuf ans et deux attaques d’apoplexie ne l’avaient pas empêchée d’aller se saisir de « la plus belle pièce de l’héritage, » la principauté de Neuchâtel ; et les Etats de ce petit comté souverain s’étaient empressés de la mettre en possession. Elle avait même « déterré » au Mans « un vieux bâtard obscur » du comte de Soissons, frère de sa mère, qui tirait du monastère bénédictin de la Couture, dont il était abbé, dix ou quinze mille livres de rente, et passait sa vie dans les tavernes. Elle l’avait logé chez elle, lui avait donné tout ce qu’elle pouvait, — et « ce qu’elle pouvait donner, nous dit Saint-Simon, était immense, » — l’avait marié à la propre fille du maréchal de Luxembourg, et, bien que le Roi n’autorisât dans le contrat que le titre de comte de Dunois, le faisait appeler partout ailleurs prince de Neuchâtel.

Le choix bizarre de ce ridicule héritier était une maladresse. Il devait indisposer un tribunal déjà trop favorable à un prince du sang, prince charmant, et qui, si l’on en croit l’abbé Fleury, dont les leçons de droit n’avaient pas été perdues, se connaissait si fort en procédure, que « les juges qu’il allait solliciter étaient surpris de l’entendre parler de ces matières, comme si c’eût été sa profession. »


Mais déjà, la grand’chambre faisait son entrée : le premier président, les présidents à mortier, les conseillers laïcs, les conseillers clercs pénétraient dans la salle, s’asseyaient sur leurs sièges ; et, dans le silence enfin rétabli, d’Aguesseau, reprenant son discours où il l’avait laissé le jour précédent, commençait la seconde partie de son plaidoyer.

Il était « de taille médiocre, » « gros, avec un visage fort