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à statuer, en ce 10 janvier 1696, « sur l’appel d’une sentence des requêtes du Palais qui ordonnait une preuve par témoins sur le temps où avait commencé la démence de M. l’abbé d’Orléans, dernier mâle de la maison de Longueville. » Ces messieurs allaient juger s’il serait permis ou non à M. le prince de Conti d’amener devant la docte assemblée quelques témoins des extravagances du défunt.

Si Mme de Nemours était déboutée, le public qui remplissait la salle pouvait se promettre un jour une audience tristement comique. En attendant, quelle bonne fortune d’écouter le « Fléchier du Palais, » d’Aguesseau, tout jeune, avocat général depuis 1690, à l’aurore de sa renommée !

La veille, pendant deux heures, il avait exposé les faits lumineusement. Il avait rappelé le testament de l’abbé d’Orléans écrit à Lyon, en présence de sept témoins, le 1er octobre 1668 ; le fidéi-commis qui suppliait Mme de Longueville de transmettre les biens dont elle hériterait, aux princes de Conti ; la clause codicillaire qui confirmait le testament ; le voyage de l’abbé d’Orléans en Italie, son désir de recevoir les ordres sacrés à Rome, les efforts de Mme de Longueville pour l’en empêcher ; l’ordination au mois de décembre 1669, l’émancipation le 22 juillet 1670 ; le voyage à Nantes, le retour à Paris, et, du 15 janvier au 6 mars 1671, les vingt et un actes par lesquels l’abbé d’Orléans se dépouillait au profit de sa famille ; huit mois plus tard, sa réclusion dans une abbaye, enfin l’interdiction en mars 1672, la mort arrivée le 4 février 1694, et, quinze jours après la mort, l’apparition d’un second testament daté du 26 février 1671.

D’Aguesseau avait présenté avec une égale perfection la thèse de Mme de Nemours et celle du prince de Conti. Il avait soutenu d’abord que le prince de Conti « n’avait point de titre, et que, quand il en aurait un, il serait révoqué par un testament postérieur auquel la preuve par témoins ne saurait donner atteinte. » Il avait soutenu ensuite que, devant les présomptions défavorables à Mme de Nemours, tirées du second testament, on ne pouvait refuser au prince de Conti le moyen de « donner à ces présomptions le degré de certitude qui leur manquait. »

La clarté de l’avocat-général avait été telle, sa science si profonde, sa logique si rigoureuse, que Mme de Nemours et le prince de Conti avaient paru tour à tour avoir raison tous les deux.

Le duc de Saint-Simon, le Duc de Bourbon et le prince de