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Le soir même, Polignac, accompagné d’un seul valet de chambre, et Châteauneuf viennent chercher abri sur les vaisseaux. Polignac n’ignore pas que le général Brandt, avec trois mille chevaux, avance rapidement, et il demande des chaloupes pour son secrétaire Baluze, ses domestiques, ses bagages. Soixante marins vont, à 8 novembre, à la pointe du jour, protéger leur embarquement. Peine perdue ! De toutes parts, les cavaliers saxons apparaissent, tirent sur les marins, les forcent de regagner les chaloupes. Depuis cinq heures du matin, l’ennemi occupe Oliva, et c’est le pillage des choses, la poursuite des gens : le carrosse de Polignac brisé ; ses serviteurs battus ; un valet du prince attaché tout nu à un arbre « Crie à présent : vive Conti ! ») ; le castellan de Kalisch traqué ; le comte Towienski en fuite sous une robe de moine, se faisant recueillir par une chaloupe française, priant Conti de s’éloigner au plus vite avec l’escadre, afin que l’évêque de Kiovie, caché dans l’abbaye, puisse se tirer d’affaire plus aisément.

Dans la ruine de toutes les espérances, une seule consolation demeurait, un vent favorable pour quitter le théâtre du désastre. Jean Bart donna donc ses ordres : il commanda à l’Alcyon de conduire les abbés de Polignac et de Châteauneuf à l’ile de Rugen, d’où ils voulaient se rendre à Stettin ; au Milfort et à la Railleuse d’escorter les prises ; et, le 9 novembre, à midi, le prince de Conti, monté ssur l’Adroit, faisait voile vers la France, avec le Comte et le Gersey.

Le 15, l’Adroit et le Comte, dont le Gersey avait dû se séparer à cause du mauvais temps, touchèrent un banc de sable, près de Copenhague. Le prince passa sur une chaloupe, logea d’abord chez le bailli de Dracker, puis chez le comte de Bonrepaus, alla incognito, sous le nom de comte d’Alais, chez le roi de Danemark, fort désireux de recevoir sa visite, et chez la Reine. Enfin, après avoir rédigé, pour sa femme, une longue relation des derniers événements, et lui avoir demandé de veiller à ce qu’on lui fit « quelque habit, car il n’en trouverait point, et les noces de M. le Duc de Bourgogne engagent à un peu de magnificence, » il s’embarqua sur l’Alcyon, qui venait de rejoindre avec le Gersey.

Au ton enjoué de sa lettre, mesurons ses regrets du trône perdu : « Je me doutais bien, quand je partis de Paris, que le mieux qui me pouvait arriver était de ne me point noyer en