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tâches une vraie noblesse, quand elles sont bien remplies.

Il nous semblait que, dans ces derniers temps, autour de chaque métier, comme cela est arrivé pour chaque province, une littérature tendait à se constituer, qui y insère de la pensée, et en dégage la poésie qu’il contient. Notre littérature classique ignore les métiers. Il y a là un champ nouveau ouvert pour des Géorgiques aussi nombreuses qu’il y a de professions diverses, et que quelques hommes de lettres ont commencé d’explorer. Cette littérature, au lieu de détacher de la vie journalière, devrait y attacher. L’histoire du métier, de même, en enrichissant l’histoire générale, viendrait fortifier l’esprit corporatif et l’honneur professionnel. En Amérique, et ailleurs sans doute, on a fondé des « revues d’usines, » propres à chaque usine, où sa vie se reflète et prend conscience d’elle-même, revues grâce auxquelles plus d’intelligence se mêle à la pratique quotidienne. Mettre l’intelligence dans le métier, au lieu de laisser croire qu’elle a son domaine nécessaire en dehors de lui, qu’il y a incompatibilité entre elle et lui, n’est-ce pas là l’avenir véritable ? N’y a-t-il pas des progrès à réaliser d’après cette méthode, en vivifiant ainsi les diverses élites dont nous parlions, et en leur conférant cette dignité qui consiste à être-content de ce qu’on fait ?

Au lieu de cela, ne va-t-on pas, je ne dis pas les décourager, mais les empêcher de naître ? Cet examen, que l’on met à l’entrée de l’adolescence, condamne à une médiocrité sans appel ceux qui ne l’ont pas subi avec succès. Ils seront toute leur vie les « refusés, » et le ressort sera affaibli en eux qui rend possible ces revanches dont notre société moins scientifiquement organisée nous donne le réconfortant spectacle. Et c’est à douze ans que cette partie redoutable sera jouée, alors que les diagnostics sont si incertains et les possibilités d’erreur si nombreuses. Pour avoir une élite recrutée et brevetée d’après une méthode nouvelle, nous aurons non seulement décapité, comme nous le disions, mais étouffe dans l’œuf les élites.

Il n’est pas sûr d’ailleurs que le tort fait aux uns soit compensé par le service rendu aux autres, et que, pour les gagnants de l’examen, tout soit bénéfice. Mettons d’abord les choses au mieux, et supposons qu’ils aillent jusqu’au bout des études entreprises. Mais, après les études, il faut faire autre chose. Les bourses les suivront dans l’enseignement supérieur, et cela est