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A la fin de chaque année, un examen fait conserver ou perdre le titre d’élève de mérite. Simple affaire de titre pour les élèves payants, mais, pour les boursiers, c’est la bourse qu’ils perdent avec le titre. Enfin, après les études du second degré, la bourse peut suivre ceux qui entrent dans l’enseignement supérieur.

Noblesse de l’inspiration, clarté de l’ordonnance, et relative facilité d’application, tels sont les mérites incontestables de ce projet. Et il serait injuste, avant d’entrer dans la discussion, de ne pas commencer par les saluer. Mais ils ne vont pas jusqu’à nous aveugler sur ce qu’il a d’inquiétant et, au fond, de tyrannique. Notre première inquiétude vient d’un appel excessif fait vers les carrières intellectuelles, et d’une sorte de désertion organisée au détriment de métiers dans lesquels l’intelligence trouve cependant moyen de s’exercer. Le triage des aptitudes et la considération des « besoins sociaux » n’empêcheront pas des préférences trop sollicitées. Pour former une élite, on décapitera les élites diverses qui sont l’honneur de chaque profession, des manuelles comme des autres. Il y a, à l’heure qu’il est, une élite ouvrière, une élite paysanne et, pour qui sait juger les gens autrement que par leur orthographe, il y a des qualités de finesse, de bon sens, des qualités morales enfin dans ces élites qui ne craignent aucune comparaison. Entre le paysan que ses succès scolaires ont mué en fonctionnaire, et le paysan fidèle à sa terre, qui l’aime et se fait comme aimer d’elle, puisqu’elle paie son effort et lui rend ce qu’il met en elle de sueurs, d’intelligence et de vertu, quel est l’échantillon d’humanité vraiment supérieur ? Et nous pensons tout d’abord à la terre, parce que c’est elle que l’on risque surtout de priver des bras nécessaires. Mais ailleurs aussi on a besoin de bras intelligents. Entre autres agents, l’hérédité contribua toujours à créer cette aristocratie de chaque métier. Le fils n’est pas rivé au métier paternel, sans doute. Quelles chances n’abdique-t-il pas le plus souvent cependant en renonçant à une expérience, à une tradition acquises et, de la part des autres, à la confiance, aux habitudes prises, à tout ce dont on hérite en même temps que du sang et du nom ? Les mots d’aristocratie et de tradition, même entendus ainsi, font-ils peur ? Il serait, en tout cas, du meilleur esprit démocratique, comme les anciens voyaient des dieux partout, de savoir découvrir dans toutes les