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Maintenant que le calme semble rétabli, faut-il donner suite à mon projet ? Voilà un gros point d’interrogation pour moi. Je sais d’avance que Mgr Guérin me laisse libre, c’est donc à vous que je demande conseil.

« Si Mgr Guérin pouvait et voulait y envoyer un autre prêtre, certainement je n’irais pas, mon devoir, bien clair, serait de rester à Béni Abbès.

« Mais je crois qu’il ne veut y envoyer personne ; je crois même qu’il ne peut y envoyer personne.

« Dans ces conditions, ne dois-je pas y aller, y fonder un pied à terre, si je puis dire, dans l’Extrême-Sud, qui me permette d’aller chaque année y passer deux ou trois ou quatre mois, et profiter de ce voyage pour administrer ou au moins offrir les sacrements dans les garnisons, et faire voir la Croix et le Sacré Cœur aux musulmans, en leur parlant un peu de notre sainte religion... ?

« Cela m’est, en ce moment, on ne peut plus facile. On m’invite, on m’attend. La nature y répugne à l’excès. Je frissonne, — j’en ai honte, — à la pensée de quitter Béni Abbès, le calme au pied de l’autel, et de me jeter dans les voyages pour lesquels j’ai maintenant une horreur excessive. Si je ne croyais pas, de toutes mes forces, que les mots comme doux, pénible, joie, sacrifice, doivent être supprimés de notre dictionnaire, je dirais que je suis un peu triste de m’absenter de Béni Abbès.

« La raison montre aussi bien des inconvénients : laisser vide le tabernacle de Béni Abbès, m’éloigner d’ici où peut-être, (c’est peu probable cependant), il y aura des combats ; me dissiper dans ces voyages, qui ne sont pas bons pour l’âme ; ne glorifîé-je pas plus Dieu en l’adorant solitaire ?

« Malgré ce que la raison oppose, et la nature, je me sens extrêmement et de plus en plus poussé intérieurement à ce voyage.

« Un convoi part pour le Sud le 10 janvier : faut-il le prendre ? Faut-il en attendre un autre ? Il n’y en aura peut-être pas avant plusieurs mois, et j’ai des raisons de craindre de n’avoir pas alors les mêmes facilités que maintenant.

« Faut-il ne pas partir du tout ?

« Mon sentiment, mon avis, bien net, est que je dois partir le 10 janvier.

« Je vous supplie de m’écrire une ligne à ce sujet. Je vous obéirai.