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matin, la harka étant signalée, le lieutenant de Ganay sort le premier, à la tête d’un détachement de cavaliers du makhzen, et va reconnaître l’énorme rassemblement qu’il force à se déployer. Les obus mettent le désordre dans les masses marocaines, qui se retirent à l’abri dans les dunes et dans la palmeraie, à 3 kilomètres de Taghit. Mais, le lendemain, la bataille recommence. Le 18, le 19, le 20 août, des assauts furieux sont livrés. Taghit se défend victorieusement ; sa petite garnison fait des prodiges, et, merveille qui donnerait du cœur au moins brave, elle est secourue. Une fois de plus, l’esprit de décision des jeunes officiers sahariens se montre et sauve l’honneur et la vie engagée. Le 18, à la première heure du jour, le lieutenant Pointurier arrive d’El Morra, à la tête de sa compagnie montée de la Légion étrangère, qui a parcouru 62 kilomètres dans la nuit ; le 20, c’est le lieutenant de Lachaux, qui accourt au canon, et, sous le feu, entre au galop avec ses quarante cavaliers de Béni Abbès, partis d’Igli la veille au soir.

La harka, décimée, lève le camp dès le 21. Elle a 1 200 hommes hors de combat. Elle regagne le Nord-Ouest, emportant les armes et les vêtements de ses morts, au lieu du butin qu’elle s’était promis. Le succès de nos armes était magnifique. « C’est le plus beau fait d’armes de l’Algérie depuis quarante ans ! » dit Frère Charles, dans une lettre à la marquise de Foucauld

Il se réjouit de la victoire, mais le regret le tourmente de n’avoir pas été là. Parmi les défenseurs de Taghit, 9 sont morts, 21 sont blessés. Et lui, l’aumônier du Sahara, il n’a pu consoler, absoudre, bénir ! Une conscience moins délicate et moins humble ne se serait point inquiétée. N’avait-il pas demandé à partir, parlé aux officiers d’ici, écrit à ceux de là-bas ? Sans doute, mais il n’est point en repos. Il faut pouvoir se passer d’escorte. « Des enseignements doivent être tirés par moi des difficultés que j’ai eues à remplir mon devoir, » note-t-il dans son journal. Et aussitôt il prend des résolutions. Désormais, il veut « s’habituer à la marche par le travail manuel, » afin de n’avoir pas besoin de monture ; il entend n’être que le plus pauvre des voyageurs ; il ira à pied, sans serviteur, et, puisqu’il faut un guide, il est sûr d’en trouver quelqu’un, même aux heures de péril, en redoublant de bonté envers tout le monde.

Le danger s’était seulement écarté, en effet ; il n’était pas fini. Les marabouts continuaient de prêcher la guerre sainte, et