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volonté qui entre dans toute conversion ? Est-ce acceptable ? Une si grande injure peut-elle être faite aux hommes ?

N’est-elle pas faite d’abord à Dieu ? N’est-ce pas nier son pouvoir, sa grâce, sa parole formelle, puisqu’il a commandé de prêcher l’Evangile « à toute nation ? » La raison, et la révélation qui la dépasse et la contente, défendent de prononcer contre aucune race humaine, contre les sectateurs d’une fausse religion quelconque, un arrêt si cruel.

Voilà pour l’objection de principe. Je reviendrai tout à l’heure sur celle qu’on prétend tirer de l’expérience. Ce qui est hors de doute, c’est que les gouvernements successifs de la France, au siècle dernier et au nôtre, ont agi comme s’il était certain, a priori, que les musulmans ne peuvent devenir chrétiens.

Il y a 90 ans que nous avons commencé de conquérir l’Algérie. Depuis lors, un domaine immense s’est ajouté à ces premiers rivages sur lesquels, en 1830, avaient débarqué les troupes françaises. Depuis lors également, bien des efforts ont été faits pour assimiler les indigènes. Notre empire africain a été doté de routes, de chemins de fer, de tramways, de bureaux de poste et de télégraphe, on a répandu de nouvelles cultures ou de nouvelles méthodes agricoles, établi des hôpitaux et des dispensaires, bâti des écoles où tout est enseigné, excepté la religion chrétienne. Les Arabes et les Berbères sont-ils plus près de nous, par l’esprit, qu’au début de la conquête ? Usant, très volontiers, de plusieurs des biens que notre civilisation leur apporte, ont-ils accepté celle-ci, et peut-on dire qu’ils se considèrent comme les fidèles sujets de la France, et à jamais ?

Il suffit de connaître un peu l’histoire des trente ou quarante dernières années, non pas même celle des régions nouvellement annexées, mais celle des trois départements anciens, Alger, Oran, Constantine, pour répondre : non. Il suffit de moins encore : de se promener pendant une heure au milieu de foules musulmanes, et de savoir lire dans les yeux. Sans doute, pendant la grande guerre, des milliers d’Arabes ou de Berbères, sujets de la France, sont venus combattre à côté de nos troupes métropolitaines, et beaucoup sont morts pour notre salut. Il y eut là une preuve de loyalisme qui ne sera jamais oubliée. Mais bien des tribus et des peuples, depuis que le monde est monde, firent la guerre pour soutenir des causes qui n’étaient point