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La principale question traitée entre le Père Guérin et le Père de Foucauld est de grande importance religieuse ; elle est, en outre, pour la France et pour d’autres nations, la première des questions coloniales. Je dois donc m’y arrêter un peu et dire, d’abord, qu’on ne la connaît guère, et que, d’habitude, on la résout légèrement.

Dans les salons, dans les réunions d’hommes, si l’on s’entretient d’une meilleure administration de nos possessions d’Afrique, on est certain d’entendre exprimer cette opinion : « Les musulmans sont inconvertissables, » ou, comme on disait au début du XIXe siècle : « Ils sont inassociables, immiscibles. » Elle est devenue une maxime. Sans doute, elle chagrine, elle froisse plusieurs de ceux qui l’entendent, mais elle trouve parmi eux peu de contradicteurs. Hélas ! le monde immense qu’elle condamne et dont elle désespère est loin de nos yeux. Nous ne voyons pas assez nettement l’injustice dont nous sommes ainsi complices en nous taisant. Ceux dont les intérêts purement terrestres orientent presque toujours l’effort ne mesurent pas le danger que le développement même de notre puissance coloniale nous fait courir, si nous ne savons pas nous concilier les esprits et les cœurs. Ou bien, malgré tant d’avertissements, ils s’imaginent, — et c’est là une infirmité véritable des intelligences dénommées « pratiques, » — que la civilisation mécanique et économique, nos banques, nos chemins de fer, nos télégraphes, puis nos théâtres, nos modes, nos musées, ont le pouvoir de changer le fond des âmes et de transformer en amis fidèles des peuples que leur religion excite à nous mépriser et à nous maudire, et qui apprennent, sous la tente ou dans la maison de terre, à répéter le proverbe : « Baise la main que tu ne peux couper. »

Voyez cependant ce qu’il y a d’inhumain, de contraire à la charité, dans cette opinion si répandue dans le monde ! Plusieurs centaines de millions d’hommes seraient donc dans l’impossibilité de connaître la vérité et de s’élever jusqu’à la civilisation véritable ? Le musulman serait à perpétuité un être inférieur ? Il y aurait, ici-bas, deux sortes d’âmes, des païennes, des bouddhistes, des juives qui peuvent apercevoir la beauté transcendante de la religion chrétienne, se convertir et fraterniser avec les peuples du Christ, puis les âmes musulmanes, incapables de comprendre ou incapables de cette part de