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Roi au moment même où il sort d’une audience de la Reine régente. Ce simple trait nous fait mesurer toute la distance, à cette époque, entre Madrid et Versailles et des peuples du Christianissime à ceux de sa Majesté très catholique. Il est douteux qu’à Versailles l’apparition du Saint-Sacrement eût immobilisé une émeute, mais l’émeute n’eût pas eu lieu et l’on n’eût pas trouvé des sbires pour attaquer, à deux pas du palais et en plein jour, un gentilhomme jouissant de la faveur du Roi.

Je ne veux pas dire que, là, non plus qu’ailleurs, l’auteur de l’Infante ait produit ce qu’on est convenu d’appeler une « thèse. » Il a simplement reproduit ce qu’il a cru démêler chez ce peuple singulier qu’il avait déjà peint dans le Rival de Don Juan et vers qui l’a ramené l’histoire de la malheureuse Inès de Llar. « Une œuvre d’art ne conclut pas, elle représente, » répétait Flaubert. Je crois que c’est le point de vue où s’est toujours et très rigoureusement tenu M. Louis Bertrand. Même dans son Saint Augustin, si riche en directions fortifiantes, il a représenté plutôt que conclu. Il a représenté le monde africain de l’Antiquité, tel qu’il a cru le voir vivant encore dans les foules africaines d’aujourd’hui. Ce sont ses rouliers et ses mariniers d’Algérie qui l’ont conduit insensiblement à l’évêque d’Hippone. Il a voulu, après avoir fait mouvoir les foules et les rustres, peindre « le type idéal du Latin d’Afrique. » Si le livre est édifiant, c’est que certains exemples le sont par eux-mêmes. L’auteur en a été ému ; il a voulu communiquer son émotion : c’est tout.

En tout cela, Louis Bertrand est entièrement lui-même. La seule influence qu’on croit démêler dans son œuvre est celle de Flaubert ; et encore le mot « influence » est-il impropre. Il y a seulement ceci que tous les deux, devant les mêmes choses, ont été frappés des mêmes aspects et que l’un a pu parfois réaliser ce que l’autre n’avait pas eu le temps d’entreprendre. « Si j’étais plus jeune et si j’avais de l’argent, écrivait Flaubert, je retournerais en Orient pour étudier l’Orient moderne, l’Orientisthme de Suez. Un grand livre, là-dessus, est un de mes vieux rêves. Je voudrais faire un civilisé qui se barbarise et un barbare qui se civilise. Développer ce contraste de deux mondes finissant par se mêler ! Mais il est trop tard... » On reconnaît, là, un des thèmes de Louis Bertrand. En même temps, sa pénétrante analyse d’âmes provinciales, dans ce décor gris de Lorraine, qu’est Mademoiselle