bleue, la taillole rouge et le béret, souvent pris pour l’un d’eux dans les auberges où il passait, il n’excitait point cette méfiance qui ferme si souvent les portes et les âmes devant l’enquêteur accrédité. C’est ainsi que, peu à peu, lui était venue l’idée d’écrire l’odyssée de la « Route, » comme les anciens avaient écrit celle de la Mer. La Route a, pour ces populations sporadiques au milieu des déserts, une signification grandiose que nous ne soupçonnons pas : elle est l’image symbolique de la civilisation en marche d’une part, et, de l’autre, la promesse de trésors inconnus. Depuis des temps immémoriaux, le départ annuel de la caravane du Maroc, par exemple, pour la lointaine et prestigieuse Tombouctou, — ou Timectou, — et les récits fabuleux au retour ont enflammé les imaginations africaines. De même, la Route du Sud-Algérien. Pour l’avoir chantée, Louis Bertrand est là-bas célèbre. Jusque aux confins du désert, les types de ses livres sont devenus héros légendaires. Il y a maintenant des auberges à l’enseigne : Pépète et Balthazar.
Toute son activité, depuis, s’est employée à développer les germes contenus dans le Sang des races. « Je n’ai guère fait que prêcher la Méditerranée, » dit-il lui-même, et c’est vrai. Son œuvre, à la considérer tout entière, ressemble à ces tables géographiques de l’Antiquité, où les pays méditerranéens seuls se profilent selon un dessin attentif et serré jusqu’aux monts Atlas au Sud, aux colonnes d’Hercule à l’Ouest, et l’île de Taprobane au Sud-Est, le royaume des Parthes vers l’Orient ; — le monde connu s’arrête là. Plus loin, vers les pays des Scythes, des Sarmates, tout se confond dans une brume indistincte... M. Louis Bertrand a, tout de même, rencontré dans ses flâneries méditerranéennes des gens venus de ces terres inconnues : — des Anglo-Saxons, par exemple. Où ne les rencontre-t-on pas sur le globe ? Un jour, avec Rafaël et Pepico, il traverse, dans un port, la région du charbon, le « royaume noir ; » il lit, sur l’enduit sombre des coques de navires, des noms barbares de ports d’attache : Helsingfors, New Haven, Glascow, mais cela ne lui dit rien qui vaille ! II n’est nullement impressionné par cette activité « fébrile et triste » des gens du Nord : il se détourne tout de suite vers les quais où grouillent les produits et les gens du Sud. Telle est, d’un bout à l’autre de son œuvre, sa tendance, et, aujourd’hui après plus de vingt ans écoulés, l’auteur du Sang des races demeure toujours le latin