hypercritique, mais vibrant, passionné pour toutes les nouveautés révélatrices, un courant passait, annonciateur d’une explosion de succès. Après une de ces lectures, comme justement l’auteur du morceau entrait, le Maître lui préfigurait ce succès, par une image saisissante. Faisant allusion au poète André de Guerne, dont les gros yeux bleus étincelants et la barbe rousse semblaient jeter des flammes : « De Guerne sort d’ici : il flambe comme une torche ! »
C’est là, qu’un jour de l’hiver 1899, on vit paraître un jeune professeur du lycée d’Alger, que signalait un roman, récemment paru, de mœurs algériennes. Sans appui, sans introduction, ni recommandation d’aucune sorte, il l’avait envoyé d’Afrique à la Revue de Paris, qui l’avait aussitôt imprimé. Le nom de l’auteur était totalement inconnu. Mais l’œuvre n’avait pas besoin de signature pour qu’on la reconnût d’un maître. La vérité des caractères, la vigueur du coloris et le style dense et plein, de ce beau métal littéraire, qui est et qui était déjà le sien, ne pouvaient manquer de toucher Heredia et tous ces fourbisseurs d’épithètes. Le jeune romancier fut accueilli avec la chaude sympathie que le grand poète savait mettre dans ses éloges. Une discrète ovation lui prouva que son idéal d’art était compris. Son nom courut de groupe en groupe : c’était Louis Bertrand.
Un autre peut-être, à cette première aurore de célébrité, fût demeuré dans la ville où il l’avait vu luire. Il n’y songea même pas. Il retourna en Afrique, parmi ses héros, les rudes immigrants de tous les pays méditerranéens, les routiers en marche vers le Sud, sorte de pionniers de la civilisation aux confins du désert. Car voilà les peuples qui lui avaient fourni les types de sa première œuvre et qui devaient déterminer sa vocation. Il ne les avait pas abordés dans une intention littéraire : ce n’était nullement le romancier qui, voulant écrire un livre sur un milieu, va « se documenter. » Il avait passé dix ans de sa vie en Algérie sans écrire une ligne. C’était tout simplement un homme jeune, artiste, ivre de lumière et de grands espaces, qui se reposait des fastidieuses besognes universitaires, en courant la campagne et qui, cheminant de concert avec les rouliers espagnols, sur la route de Laghouat, en des voyages qui duraient des mois, s’en était fait des amis et avait trouvé en eux d’extraordinaires exemplaires d’humanité. Vêtu comme eux, portant la blouse