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et qui faisait une île du Kremlin ? Ses généraux, voyant l’hôtel de l’intendance n’être plus qu’un monceau de cendres et le feu qui venait de prendre dans la tour à carillon, sollicitèrent vivement l’Empereur pour qu’il abandonnât et la demeure des Czars et la vieille capitale de leur empire. Il se rendit enfin à leurs pressantes sollicitations, mais non sans beaucoup d’objections. Quand il eut déjeuné, il réfléchit encore, et vers les onze heures ou midi, il monta à cheval. Accompagné de sa suite, il sortit du Kremlin et de Moskow, et se dirigea vers Petrowskoï, château situé à une ou deux lieues à l’Ouest de la ville. Les bagages de la Maison, ceux de la garde et la garde elle-même prirent la même direction. Mais les préparatifs de départ ayant demandé un peu de temps, on ne put se mettre en marche qu’à une heure assez avancée de la journée.

Ce fut avec beaucoup de peine que nous parvînmes à nous tirer de la ville, dont les rues étaient obstruées de charpentes enflammées, de débris de maisons écroulées et par des flammes qui barraient le passage. A tout moment, on était obligé de changer de direction et même de retourner sur ses pas, pour ne pas être pris. Le vent aussi s’était associé à ce désastre ; il soufflait avec force et tourbillonnait de telle manière qu’il enlevait une très grande quantité de poussière qui aveuglait les hommes et les chevaux. Ce qui augmentait l’embarras, c’était une multitude de soldats de toutes les armes, qui emportaient sur eux, sur des chevaux, sur des voitures du pays, toute espèce de provisions et de butin qu’ils avaient pu tirer des magasins, des boutiques, des maisons et des caves. Tout ce tableau présentait l’image du plus grand désordre.

Un peu avant la nuit, nous nous trouvâmes fort heureusement hors de la ville. Alors nous pûmes respirer à l’aise et ne plus sentir la mauvaise odeur qui s’exhalait des ruines fumantes. Il était nuit lorsqu’on arriva a Petrowskoï. Les équipages parquèrent près du château où l’Empereur était installé depuis plusieurs heures.

Le jour suivant, je crois, l’Empereur, la garde, la Maison, les équipages, tout vint reprendre possession du Kremlin. Le calme de la destruction régnait dans la ville. Tout ce qui avait été bois était en cendres ; ce qui était briques était en grande partie écroulé ; les églises, étant entièrement construites en briques, avaient été respectées par le feu. De toutes parts les