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plausibles que vous ne distinguez pas, dans leur récit, la fantaisie et la vérité. Ils mettent beaucoup de vérité, dans leur récit ; et c’est pour gagner votre confiance. Ils l’ont gagnée depuis longtemps, lorsqu’ils vous mènent si gaiement à ces conclusions qui ne sont pas gaies. Or, les conclusions dérivent ou semblent dériver très logiquement de ce que vous avez pris pour la vérité. Ces conclusions, ils ne les formulent pas eux-mêmes : c’est vous qui les formulez ; à leur instigation, mais sans que leur instigation se manifeste. Et le talent de la caricature, le voilà !

J’aime aussi que la philosophie pessimiste de MM. Max et Alex Fischer n’aille jamais à peindre l’ignominie. Nous avons beaucoup de moralistes qui, ayant reconnu que l’homme ne vaut rien, profitent de cette information pour exhiber les pires laideurs de l’âme humaine, avec une effronterie scandaleuse. Les amoureux, les jaloux, les toqués de MM. Max et Alex Fischer ne sont ni infâmes, ni répugnants, ni morbides. Et la satire est ainsi plus significative : elle ne s’adresse pas à des monstres, à des scélérats dignes des galères ni à des malades qu’il faudra enfermer, mais à l’humanité moyenne, à vos amis et à vous-mêmes. Tant pis pour vous !

Un autre conteur très gai, M. Miguel Zamacoïs, donne, sous le titre de la Dame au rendez-vous, une série de croquis attrayants et de caricatures, lui aussi, analogues à la réalité. Un de ses personnages les meilleurs est un gros bonhomme qu’il a rencontré en voyage et qui endure un tourment très pénible : c’est la peur des responsabilités. L’on n’a point oublié que Faguet, jadis, indiquait la peur des responsabilités comme l’un des caractères de notre temps. Le bonhomme qu’a rencontré Zamacoïs était pharmacien : mais, à la lecture de l’ordonnance, il commençait de trembler, craignant de confondre les chiffres ; et les médicaments à peine livrés, il était sûr d’avoir empoisonné son client. Bref, il dut quitter la pharmacie et trouva une place de caissier dans une banque : « J’étais hanté, la nuit, par la terreur des pièces fausses, des liasses incomplètes, des coffres-forts mal fermés et des combinaisons oubliables. Je dus lâcher encore ce métier-là... » Chez un fabricant d’appareils de chauffage, et puis chef de gare, il souffrit de scrupules atroces... « Cela dura jusqu’au jour où, menacé d’une maladie des nerfs, de complications cardiaques, et en proie à des hallucinations qui semaient sur toute la nature des disques rouges ou verts, carrés ou ronds, j’embrassai enfin une profession de tout repos, sans responsabilités. — Bravo ! Qu’est-ce que vous faites ? — Je suis ministre ! » Faguet, d’ailleurs,