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voix mal assurée, elle me dit seulement : « Je m’appelle aussi Camille. » Ce fut sa manière, qui réussit d’ailleurs à merveille, de nous donner du courage à tous deux.

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En sortant du Conservatoire, je me voyais menacé d’entrer au Palais. Les circonstances m’en écartèrent d’abord. Un peu plus tard, il est vrai, je passai par la Basoche, mais je ne fis. Dieu merci, qu’y passer. Auparavant et pendant quelques années, je vécus une vie de loisirs, incertaine et quelquefois errante. La musique y conservait sa place. Je me pris en ce temps-là d’un enthousiasme juvénile pour l’opéra d’un « jeune, » que représentait le Théâtre-Lyrique d’Albert Vizentini. C’était le Bravo, le premier et de beaucoup le meilleur ouvrage de Salvayre, le futur auteur d’un fâcheux Egmont et d’une Dame de Monsoreau plus déplorable encore. Du Bravo, tout me parut admirable. La musique ne l’était peut-être qu’en apparence. J’ai cependant gardé pour mainte page le sentiment, — ou l’illusion, — de la vingtième année. Mais les deux principaux interprètes ! Mais la voix et le talent de Bouhy, qui venait d’être Escamillo ! Mais la radieuse, l’ensorcelante beauté de Marie Heilbronn, qui devait être un jour Manon, voilà ce dont je puis encore, après quarante ans, attester la réalité.

Bouhy, Salvayre et moi, nous ne tardâmes point à devenir amis. Avec une âme d’artiste, ardente, emportée, un peu sauvage, Salvayre avait un caractère où la gaité, l’humour, — et le plus original, — se mêlait à quelque rudesse. Il apportait dans ses jugements, dans ses conseils, plus de franchise que de bienveillance et surtout de flatterie. Son goût, son intelligence et son amour de l’art étaient supérieurs à son œuvre. J’aimais à le visiter en son plus que modeste logis de la rue de La Tour d’Auvergne. Il y était le voisin d’Ernest Reyer. C’est chez lui, et par lui, que me furent révélées les beautés, encore peu connues et suspectes, de Lohengrin, et le duo d’amour qu’il ne craignait pas, lui, mais que je me défendais encore de préférer au duo d’amour par excellence, au duo d’amour type, celui du quatrième acte des Huguenots.

Avec Bouhy, Caroline Salla, le violoniste Marsick et je ne sais plus quelle « étoile » d’opérette, je fis une fois, en qualité de pianiste-accompagnateur, ce qu’on appelle une « tournée. » C’était dans la région du Nord. J’avais là des parents, braves