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comprenions qu’un jour, comme quelqu’un disait : « Je trouve Ambroise Thomas bien changé, » Auber eût répliqué : « Mais, il a toujours été bien changé. » Sa gravité même nous rendait plus gais encore, non pas certes à ses dépens, mais à son sujet, et d’une innocente gaîté. Elvire était le nom de Mme Ambroise Thomas, et l’une de nos « charges » d’écoliers consistait à jeter aux échos de la cour l’apostrophe de Musset à Lamartine : « O ! toi qui sais aimer, réponds, amant d’Elvire ! » Mais dans la froideur du maître, il n’entrait aucune sévérité, nulle rigueur. Indulgent et bon, il avait, je le sais, l’âme haute. Un jeune critique, à la tête légère, ayant un jour parlé d’une de ses œuvres avec irrévérence, il ne lui retira pour cela ni son estime, ni son amitié. Du temps que j’étais écolier, et jusqu’à sa mort, sa bienveillance me demeura fidèle. Mais rien n’a jamais pu me faire oublier l’intonation plus que mélancolique, sépulcrale, de ces quatre mots, que je crois entendre encore : « Marmontel, voilà le mouvement. »

En même temps que mes classes du Conservatoire, mes études de droit s’achevaient, moins bien. Un autre président qu’Ambroise Thomas, et d’un autre jury, m’annonçant que j’étais « reçu, » non pas du tout, comme Perdican, « à quatre boules blanches, » ajoutait : « Mais j’apprends, monsieur, que vous venez d’obtenir un prix au Conservatoire. Je vous en fais tous mes compliments. »

Après en avoir fait, moi, tous mes remerciements à mon excellent maître, je m’empressai d’aller remercier aussi la bienfaitrice, et volontiers je dirais la patronne exquise des musiciens, surtout des pianistes, celle dont la munificence ajoutait chaque année à l’honneur officiel et platonique du diplôme et de la médaille, le don royal d’un grand piano de sa maison. Je n’avais pas encore eu l’occasion d’approcher cette noble et charmante figure que fut Mme Erard. Elle me reçut pour la première fois dans le grand salon de la Muette, où je devais plus tard si souvent et si volontiers revenir. Petite, menue, elle y semblait comme perdue et même un peu mal à l’aise. Timide en l’abordant, je crus aussitôt m’apercevoir que mon abord ne l’intimidait pas moins elle-même, et sa timidité redoubla la mienne. Souriant de tout son visage, qu’elle avait aimable et gracieux, elle m’accueillit pendant un moment, qui me parut long, en silence. Elle se troublait, rougissait. Enfin, non sans effort et d’une