Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuance juste, un accent expressif, il n’en fallait pas plus pour éclairer son visage et pour animer sa voix. Il arrivait alors que, dans son contentement, il chantât une phrase musicale, en même temps que l’un de nous la jouait. Il la chantait tantôt sans paroles, en vocalise, et tantôt avec paroles. « C’est est bien, mon enfant, un un peu plus de son ! » J’entends encore cet avis à mon adresse, modulé sur les notes initiales et montantes de la sonate en la bémol, de Weber, laquelle fut mon dernier morceau de concours et me valut, — enfin, — le premier prix.

Entre notre classe et les autres, les rapports étaient assez rares. Musique et déclamation ne frayaient presque jamais ensemble. Mais le jour de la distribution des prix, on recourait, pour la proclamation des récompenses, à l’un des lauréats de comédie ou de tragédie. En ce rôle du héraut, la voix de notre camarade Lucien Guitry sonnait superbement. Être nommé par elle ajoutait encore à l’éclat de la nomination.

Le professeur de la classe d’Opéra, — Obin, si j’ai bonne mémoire, — demandait quelquefois à Marmontel de lui prêter, comme accompagnateur, un de ses élèves. Je m’offrais volontiers à remplir cet emploi. D’abord c’était, pour un pianiste, une excellente occasion de jouer, non plus seulement du piano, mais, en quelque façon, de l’orchestre, de s’y essayer au moins, sinon d’y réussir. Et puis cette imitation du théâtre, lequel ne fait déjà qu’imiter la vie, cette fiction pour ainsi dire au second degré, me divertissait fort. Enfin le manque de tout appareil scénique, décorations et costumes, ne laissait plus aux œuvres que leur valeur de musique pure, dont nous pouvions ainsi juger librement et sans illusion. Pourtant est-ce bien sûr ? Et sommes-nous jamais tout à fait libres ? Si, par exemple, le grand duo du quatrième acte de la Favorite me parut alors un des sommets de notre art, dois-je en accuser, à moins que je ne l’en remercie, la voix magnifique de ma jeune camarade Renée Richard ? « Les ronces, disait-elle, pleurait-elle, les ronces et les pierres ont meurtri mes genoux... Fernand, imite la clémence, » etc. Le timbre, l’accent de cette voix me meurtrissait aussi le cœur et je sentais que si j’eusse été Fernand, comme lui j’aurais tout pardonné.

Une autre fois, j’accompagnais le premier acte du Faust de Gounod. Un ténor, célèbre depuis, y déployait toute sa voix,