de la cour du Conservatoire une espèce de Cour des Miracles sonores.
Au fond de cette cour, au premier étage, se trouvait la classe de Marmontel. Elle n’était meublée que de quelques bancs et d’un grand Erard à queue, devant lequel chacun de nous, le maître à côté de lui, s’asseyait à son tour. Marmontel était un petit homme à tête rase, à longue barbe grise effilée, aux doigts gris aussi, rabougris, et comme usés par l’exercice de son art. Né en 1816, premier prix de piano en 1832, il avait alors soixante ans. Pas un de ses collègues, depuis les Zimmermann et les Lecouppey, ni Mathias, ni même Delaborde, ne partageait sa réputation et son autorité. Il semblait le patriarche du piano. Un Bizet, un Planté, un Paladilhe, avaient été ses disciples. Peut-être virtuose autrefois, il n’était même plus pianiste. Aucun de nous du moins ne l’entendit jamais jouer. C’est à peine si quelquefois, avec peine aussi, il nous indiquait un trait, un doigté, la pose ou l’attaque d’une note, par un exemple, et si maladroit, qu’il en souriait le premier. Mais par quelles leçons ne suppléait-il point aux exemples ! Le goût le plus pur et le plus sûr ; un amour passionné de son art, mais en même temps une raison supérieure à cette passion même, et qui savait la discipliner ; le mélange ou plutôt le parfait équilibre de l’intelligence et de la sensibilité, ces deux moitiés de la musique et de toute interprétation musicale, telle était la nature du professeur incomparable que fut Marmontel ; en cela consistait le fond, ou plutôt l’âme et la vie de son enseignement.
Autant que la musique, il nous aimait en elle et pour elle, lui, le vieux maître, et nous, les apprentis musiciens. Rien ne lassait ni sa bonté, ni sa patience. Les moins doués trouvaient toujours auprès de lui mieux que de l’indulgence : des encouragements, des raisons de croire et d’espérer en eux-mêmes, ne fût-ce, à défaut de talent, qu’en leur bonne volonté. Parmi ces médiocres, il y en avait un sur lequel ses camarades se faisaient peu d’illusions. Ou plutôt ils s’en faisaient, et beaucoup, mais à rebours. La suite des temps devait singulièrement les détromper, en sa faveur, et même pour sa gloire à lui, plutôt qu’à leur avantage. « Enfin te voilà, mon enfant, » disait Marmontel, et l’on voyait entrer, en retard souvent, un petit garçon d’aspect malingre. Vêtu d’une blouse serrée par une ceinture, il tenait à la main une sorte de béret, bordé d’un galon et portant au