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organisées pour l’audition des œuvres des grands maîtres. L’ « exercice » du 15 avril 1801 est demeuré fameux. Un morceau de piano fut exécuté par l’élève, — depuis le célèbre professeur, — Zimmermann, et un solo de basson par le citoyen Judas, lequel, ayant perdu son instrument à la bataille de Marengo, eut l’honneur d’en recevoir un autre des mains du ministre de l’Intérieur. Ailleurs, partout ailleurs, en ces vieux bâtiments, en ces classes étroites, la plupart de nos maîtres, depuis un siècle, s’étaient formés. Les pierres mêmes nous parlaient de leur gloire. C’est peu de dire qu’elles parlaient : elles chantaient. Vocale, instrumentale, il n’est pas de musique dont, à certaines heures, la cour du faubourg Poissonnière ne retentit. Trois fois par semaine, les lundi, mercredi et vendredi, mon rouleau sous le bras, j’en franchissais le seuil.


Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l’archet se précipite.
……………..
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l’alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vidant et remplissant leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour.
………………
Ciel ! voilà le clairon qui sonne. A cette voix,
Tout s’éveille en sursaut, tout bondit à la fois.
La caisse aux mille échos, battant ses flancs énormes,
Fait hurler le troupeau des instruments difformes,
Et l’air s’emplit d’accords furieux et sifflants,
Que les serpents de cuivre ont tordus dans leurs flancs.
Vaste tumulte où passe un hautbois qui soupire.


Retranchez de cette description d’abord l’image du « maître, » ou du chef ; ensuite l’idée de l’ordre, de l’harmonie et de la symphonie. Mais retenez l’idée du « tumulte. » Puis, ajoutez aux instruments que le poète énumère, les voix, féminines et viriles. Imaginez-les, tous et toutes, non pas concertant et d’accord, mais s’ignorant, s’opposant même, au lieu de s’unir, chacun et chacune donnant sa note et suivant son thème ou son « idée. » Alors à peine aurez-vous une idée vous-même de la polyphonie ou cacophonie extraordinaire, plus « avancée » qu’aujourd’hui celle d’un Stravinsky ou d’un Casella, qui faisait