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fâcher un moment, » et le jugement du pape Alexandre VIII, en 1689 : « Ce jeune abbé est un séducteur. »

Ajoutons que Mme de Sévigné le goûtait infiniment : « C’est, disait-elle un jour à M. de Coulanges, un des hommes du monde dont l’esprit me parait le plus agréable ; il sait tout, il parle de tout ; il a toute la douceur, la vivacité, la complaisance qu’on peut souhaiter dans le commerce. » De même que le prince de Conti, « il voulait plaire au valet, à la servante, comme au maître et à la maîtresse. Il butait toujours, nous affirme Saint-Simon, à toucher le cœur, l’esprit et les yeux... D’ailleurs tout occupé de son ambition, sans amitié, sans reconnaissance, sans aucun sentiment que pour soi, faux, dissipateur, sans choix sur les moyens, mais avec des voiles et des délicatesses qui lui faisaient des dupes. »

Polignac se donna tout entier, qualités et défauts, — et, pour un diplomate, quelques-uns de ces défauts étaient des qualités, — aux préparatifs de l’élection. Le grand trésorier Lubomirski et plusieurs seigneurs polonais ne lui avaient pas caché qu’ils désiraient ardemment le prince de Conti. Ils le préféraient aux autres candidats éventuels, à l’électeur de Bavière, au prince de Bade, surtout au prince de Neubourg et au duc de Lorraine Léopold, fils aîné du feu duc Charles V, que patronnait l’Empereur.

Louis XIV avait hésité d’abord à présenter aucun prince de son sang, car il craignait d’être entraîné à de trop fortes dépenses ; puis il s’était assez promptement ravisé. Et, comme les Polonais paraissaient décidés à ne pas élire un roi de leur nation, on avait lieu d’espérer que le prince de Conti serait choisi, car il passait pour un capitaine, et Lubomirski l’avait vu faire la guerre en Hongrie « d’une manière à n’être jamais oubliée. »

Malheureusement, les grands seigneurs de Pologne profitaient des interrègnes pour rétablir leurs affaires, et la couronne, au lieu d’être donnée au plus digne, risquait de se vendre au plus offrant. La noblesse polonaise était d’ailleurs fort méfiante. Comme le disait un peu plus tard Polignac, il fallait tout au moins « montrer aux Polonais les coffres ou leur donner des arrhes. » Mais la France était épuisée par la guerre de la ligue d’Augsbourg qu’elle soutenait victorieusement contre la moitié de l’Europe. Les fameuses paroles de Colbert en 1666 n’étaient plus de saison en 1696. Loin de vouloir engager tout son bien, Louis XIV n’entendait promettre que cent