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est bien oubliée aujourd’hui, malgré la médaille qui la commémore, une médaille dessinée par Coypel, avec une légende imaginée par Racine.

C’est vers ce temps-là que Luxembourg, désespérant de conquérir la faveur du Roi, avait recherché celle de son successeur éventuel. Il avait voulu s’emparer de l’esprit du Dauphin. Rien qu’il fût presque septuagénaire et de dix ans plus âgé que Louis XIV, certains accidents de la santé royale avaient encouragé ses rêves, et le prince de Conti, élevé avec Monseigneur, l’avait « mis fort bien auprès » du gros homme blond, un peu épais et lourd, qui était l’héritier de la couronne. Luxembourg était devenu l’un des intimes de la jeune douairière de Conti, cette demi-sœur adorée, de chez qui le Dauphin « ne bougeait. »

« Agréable comme sa mère (Mlle de La Vallière), a écrit Mme de Caylus, elle avait la taille et l’air du Roi son père, et, auprès d’elle, les plus belles et les mieux faites n’étaient point regardées. »

En plaisant à la sœur, on pouvait dominer le frère ; mais il était encore plus aisé d’atteindre le même résultat en choisissant pour lui une maîtresse dont on serait sûr. Or le Dauphin, veuf depuis 1690 et qui ne s’était pas remarié, commençait à goûter extrêmement une fille d’honneur de la douairière de Conti. Marie-Emilie Joly de Choin, fille, — la quinzième ou la seizième, — du baron de Choin, grand bailli de Bourg-en-Bresse, grosse, « écrasée, brune, laide, camarde, avec de l’esprit, et un esprit d’intrigue et de manège, » avait d’abord amusé le Dauphin, puis s’était insensiblement introduite dans sa confiance.

Cette amitié nouvelle n’avait pas échappé à Luxembourg. Conti et lui avaient remarqué que le chevalier de Clermont-Chatte, un parent « ramassé » par Luxembourg et pourvu bientôt d’un brevet de mestre de camp dans les gendarmes de la garde, était prisé du Dauphin, qu’il aimait la douairière de Conti et qu’il en était aimé. Ils proposèrent à Clermont-Chatte, — c’était « un grand homme très bien fait » et un séducteur, — de courtiser la Choin et de l’épouser. Alors peut-être ce que Mlle de Choin avait refusé à l’amour du Dauphin par vertu ou par crainte du scandale, Mme de Clermont-Chatte, ayant un état à la cour, l’eût accordé volontiers. Grâce à elle, on eût gouverné Monseigneur, « pour disposer de l’État, quand il en serait devenu le maitre. »

Clermont-Chatte avait accepté. Il n’avait pas trouvé Mlle de Choin cruelle ; puis, tandis que la douairière de Conti et