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Massillon, bien des années plus tard, semblent à peine exagérées : « Il est partout où la victoire est encore douteuse, et la victoire se déclare dès qu’il paraît. » A sept heures, en cette soirée du 4 août 1692, elle est certaine sur toute la ligne.

Une prompte retraite était la seule ressource de Guillaume. Il se retira en bon ordre derrière le rideau protecteur que lui assurait une région accidentée et couverte, mais il perdait treize cents prisonniers, douze canons, douze drapeaux, et le nombre de ses morts et de ses blessés s’élevait à douze mille. Huit mille Français gisaient dans la plaine, dans les bois, parmi les haies et les fossés.

Le lendemain, Luxembourg commanda de soigner les blessés, sans distinction de parti. Le Duc de Chartres donna l’ordre de les panser à ses frais et prêta ses propres équipages. Le prince de Conti réunit trois cents chariots de l’armée, les conduisit lui-même sur le champ de bataille, les fit charger d’une foule de malheureux dont il sauva la vie.

La maréchal de Luxembourg avait dit à ses lieutenants : « Messieurs, le prince d’Orange a eu l’honneur d’être battu aujourd’hui par les princes et la noblesse de France. » Le public ratifia ce jugement de Luxembourg, lorsque, dans les derniers jours d’octobre 1692, les princes revinrent à la cour. « Monsieur le Duc, le prince de Conti, MM. de Vendôme et leurs amis, écrit Voltaire en une page d’une exquise élégance, trouvaient, en s’en retournant, les chemins bordés de peuple. Les acclamations et la joie allaient jusqu’à la démence. Toutes les femmes s’empressaient d’attirer leurs regards. Les hommes portaient alors des cravates de dentelles, qu’on arrangeait avec assez de peine et de temps. Les princes, s’étant habillés avec précipitation pour le combat, avaient passé négligemment ces cravates autour du cou : les femmes portèrent des ornements faits sur ce modèle ; on les appela des steinkerques. Toutes les bijouteries nouvelles étaient à la Steinkerque. Un jeune homme qui s’était trouvé à cette bataille était regardé avec empressement. Le peuple s’attroupait partout autour des princes ; et on les aimait d’autant plus que leur faveur à la cour n’était pas égale à leur gloire. »

Cette gloire était telle qu’un poète satirique prétendit s’en servir pour diminuer celle de Luxembourg. Au milieu de l’enthousiasme soulevé par la victoire du maréchal, dont le génie