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Roi avait décidé que les dames attendraient la prise de la ville. Pour notre plus grande joie, Mme de Maintenon a décrit l’arrivée à Dinant. « Nous vîmes enfin, dit-elle, dans un abîme et comme on verrait à peu près dans un puits fort profond, les toits d’un certain nombre de petites maisons, qui nous parurent pour des poupées et environnées de tous côtés de rochers affreux... Il faut descendre dans cette horrible habitation par un chemin plus rude que je ne puis dire. Tous les carrosses faisaient des sauts à rompre les ressorts, et les dames se tenaient à tout ce qu’elles pouvaient... Nous nous trouvâmes dans une ville composée d’une rue qui s’appelle la grande et où deux carrosses ne peuvent passer de front. On n’y voit goutte ; les maisons sont effroyables... Il y pleut à verse depuis que nous y sommes, et on nous assure que, si le chaud vient, il est insupportable par la réverbération des rochers. La ville est crottée à ne pouvoir s’en tirer, le pavé pointu à piquer les pieds, et les rues tiennent, je crois, lieu de privés pour tout le monde... Suzon assure que le Roi a grand tort de prendre de pareilles villes. »

C’est dans ce lieu de délices, où l’eau était mauvaise, le vin rare, les boulangers obligés de ne cuire que pour l’armée, que les dames nourries surtout de fromage apprirent le 5 juin la chute de Namur. La ville avait capitulé après six jours de tranchée, une tranchée qui était « quelque chose de prodigieux, embrassant à la fois plusieurs montagnes et plusieurs vallées, avec une infinité de tours et de retours, autant presque qu’il y a de rues à Paris. »

Le prince de Conti était à son poste dans l’armée de Luxembourg. Le maréchal continuait à couvrir les assiégeants, car le Roi essayait de s’emparer de la citadelle, qui tenait toujours. Le prince de Barbançon, duc d’Arenberg, s’y était réfugié, et il savait que Guillaume marchait à son secours.

Guillaume avait une artillerie supérieure à celle de Luxembourg, et quatre-vingt mille hommes seulement contre cent mille. Le 8 juin, un méchant ruisseau, la Mehaigne, le séparait de Luxembourg placé si près de la rive, qu’il ne pouvait utiliser son immense cavalerie. Conti fut un des exécutants de la manœuvre savante, par laquelle le maréchal sut transformer une position dangereuse, au point qu’il intimida son adversaire. A la fin de cette merveilleuse leçon d’art militaire, Conti vit Guillaume abandonner son projet. Il ne resta au stathouder