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« C’était assurément, dit-il, le plus grand spectacle qu’on ait vu depuis plusieurs siècles. Je ne me souviens point que les Romains en aient vu un tel ; car leurs armées n’ont guère passé, ce me semble, quarante ou tout au plus cinquante mille hommes, et il y en avait hier six vingt mille ensemble sur quatre lignes. »

Laissant sa belle-sœur la douairière et la Duchesse de Chartres passer à cheval comme le Roi, devant les troupes, la princesse de Conti suivit en carrosse.

On commença par l’aile gauche de la seconde ligne de l’armée du Roi, et l’on revint par l’aile droite de la première ligne pour recommencer à la première ligne de l’armée de Luxembourg et finir par la seconde : interminable promenade au pas qui durait encore à six heures du soir. En arrivant à la deuxième ligne de l’armée de Luxembourg, la princesse de Conti trouva son mari, qui commandait l’infanterie du maréchal. Quel plaisir, au prix de quelle fatigue ! « On était deux heures à aller du bout d’une ligne à l’autre, écrit Racine, qui, en sa qualité d’historiographe du Roi, resta à cheval toute la journée... Je vous rendrais un fort bon compte des deux lignes de l’armée du Roi, et de la première de l’armée de M. de Luxembourg ; mais quant à sa seconde ligne, je ne puis vous en parler que sur la foi d’autrui. J’étais si las, si ébloui de voir briller des épées et des mousquets, si étourdi d’entendre des tambours, des trompettes et des timbales, qu’en vérité je me laissais conduire à mon cheval sans plus avoir d’attention à rien, et j’eusse voulu de tout mon cœur que tous les gens que je voyais eussent été chacun dans leur chaumière ou dans leur maison, avec leurs femmes et leurs enfants, et moi dans ma rue des Maçons avec ma famille. Vous avez peut-être trouvé dans les poèmes épiques les revues des armées fort longues et fort ennuyeuses ; mais celle-ci m’a paru tout autrement longue, et même, pardonnez-moi cette espèce de blasphème, plus lassante que celle de la Pucelle » (qui compte trois cents vers).

Les dames se reposèrent le lendemain en allant dîner sous la tente du Roi. A la fin du repas, après la marche suisse et la marche française jouées par un orchestre « de soixante-six tambours, trente-cinq trompettes et autant de hautbois, » après les airs du ballet de Psyché chantés par des chœurs d’hommes et de femmes, Louis XIV se leva et « déclara le siège de Namur. »

La princesse de Conti fut bientôt installée à Dinant, où le