— Prenez garde de recommencer avec nous ce qui a si mal réussi aux Espagnols quand ils ont expulsé tous leurs Maures et tous leurs Juifs. Il y a cinq siècles de cela, et ils en souffrent encore ! D’ailleurs, vous ne pouvez songer sérieusement à nous déporter en masse, comme au temps d’Isabelle. Vous ne voulez pas non plus, je pense, nous jeter tous au Danube. Vos mesures d’exception n’auront d’autre résultat que de nous ramasser sur nous-mêmes et de nous rendre plus forts. Vous allez redonner aux meilleurs d’entre nous ou aux pires, comme vous voudrez, à ceux qui étaient arrivés à la dernière étape du renoncement à Israël, à ceux qui ne sentaient plus tressaillir en eux quelque chose quand on prononçait ce mot « juif » (ou celui, pis encore, par tout ce qu’il renferme de fausse politesse et de ménagement hypocrite, ce mot affreux d’ « israélite » ), chez ceux-là, dis-je, vous allez faire revivre par la persécution le sentiment de leur race. Moi-même, hier encore, je n’éprouvais que du dégoût pour tous ces Juifs sauvages venus de Galicie avec leur fanatisme insensé et leur saleté répugnante. Je descendais du tramway pour ne pas sentir leur odeur et ne plus avoir sous les yeux ces affreux types du judaïsme. Aujourd’hui qu’on les poursuit, je les tiens pour mes frères en juiverie et je me range à côté d’eux. Je ne suis pas le seul. Je pourrais vous citer maints Juifs qui, pendant le bolchévisme, dégoûtés des excès de nos coreligionnaires, et redoutant des représailles, se sont jetés dans le baptême ; mais aussitôt qu’ils ont vu se produire les violences qu’ils avaient prévues, et des vexations inouïes s’abattre sur leurs frères de la veille, ils ont renié leur reniement et sont redevenus des Juifs... Laissez-moi vous dire un secret. On répète volontiers : faut-il que ces Juifs soient forts pour s’être maintenus et développés dans le monde, malgré tout ce qu’ils ont subi ! Ce n’est pas « malgré » qu’il faut dire. C’est grâce à la persécution, et non pas malgré elle, que nous sommes devenus ce que nous sommes. Nous n’avons rien produit de grand que dans la misère et l’épreuve. Notre Bible fut conçue en des temps où nous n’étions que des bédouins pillards, des tribus errantes et menacées. Le jour où nous avons formé un Etat régulier, notre génie s’est tari. Du fameux temple de Salomon il ne reste aucun vestige, mais il semble qu’il ait eu plus de somptuosité orientale que de beauté véritable. Les Psaumes de David et le Cantique des cantiques sont les seuls monuments durables