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plusieurs grands hôtels de la ville, dont ils avaient fait leurs casernes. Là encore il se passa des histoires mal connues, des drames rapides et féroces, exactement calqués sur les horreurs bolchévistes, et qui ne sont propres qu’à vous dégoûter de l’humanité, quelle qu’elle soit. En écrivant ces lignes, j’ai sous les yeux le rapport d’une mission de Travaillistes anglais, aussi terrible à parcourir que le petit bois d’Orgovany. Et bien qu’il soit, comme toujours, très difficile de départager le vrai du faux, on sent monter de ce papier la même fade odeur sanglante que je croyais respirer, l’autre jour, au milieu des acacias.

Ce paroxysme de fureur se calma peu à peu ; mais j’ai encore pu voir, moi-même, des scènes du genre de celle-ci. C’est le soir. Un café de Budapest. Un de ces cafés toujours pleins, où se passe, là-bas, une grande partie de la vie. Tout à coup, dans la rue on entend courir des gens, des voitures passent à vive allure, et aux portes du café apparaissent des uniformes variés de soldats appartenant aux différents détachements d’officiers Derrière eux, une foule de manifestants affiliés à la ligue antisémite « les Hongrois qui s’éveillent » ou « les Hongrois réveillés. » Dans le café, c’est la panique. On voit des consommateurs se précipiter sous le billard et sous les canapés ; d’autres courir aux water-closets ; d’autres au téléphone. Mais là, un « Hongrois réveillé » les arrête en disant : « Inutile de vouloir prévenir la police : tous les fils sont coupés. » Pendant ce temps, des officiers circulent de table en table, demandant poliment à chacun de se légitimer, comme on dit, c’est-à-dire de présenter ses papiers d’identité. On reconnaît un Juif rien qu’à la façon dont il se lève avant même qu’on lui ait rien demandé. Aussitôt il est saisi, on se le passe de main en main ; et par une opération magique, avant même qu’il soit arrivé à la porte du café, il a déjà perdu en route son portefeuille, son porte-monnaie, sa montre et son étui à cigares. Puis on le jette à la foule qui le reçoit avec des cris et des exclamations diverses, dont je retiens celle-ci : « Cognez-lui sur la tête, pour qu’il ne devienne pas boiteux ! » Le café nettoyé, la bande des inquisiteurs salue avec courtoisie le reste des consommateurs, et va recommencer ailleurs son exploit peu héroïque.

Aujourd’hui, ces scènes brutales ont pris fin. Mais le problème juif demeure, et toute la Hongrie se hérisse pour repousser Israël. On veut expulser du pays les cinq cent mille Galiciens