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je n’ai rien fait, ce sont les autres qui m’ont forcé à marcher avec eux. — Emmenez-le, dit Szamuely en s’adres- sant à deux gars de Lénine. C’est un pauvre diable, je lui fais grâce... Ne le pendez pas... Fusillez-le ! » Ce jour-là, à Kalocsa, il y eut une exécution nombreuse. Des professeurs, un instituteur, des commerçants, des officiers, et nombre de paysans furent pendus devant les fenêtres du Collège des Jésuites. Une des victimes, dont la corde s’était brisée, s’échappa. On rattrapa le pendu récalcitrant, et de nouveau, on l’accrocha à sa branche d’acacia.

Huit bourreaux diplômés faisaient partie des trente hommes qui suivaient partout Szamuely. Leur chef était un nommé Arpad Kohn Kerekès, âgé de vingt-trois ans, tourneur en fer de son métier, qui, de son propre aveu, a fusillé cinq personnes et en a pendu treize. Mais l’acte d’accusation a relevé contre lui. cent cinquante assassinats. Parmi les autres diplômés, il y avait encore Louis Kovacs, Charles Strub, Isidor Bergfeld, Alexandre Vigh, qui pendit huit paysans à Kalocsa, Didier Reinheimer qui en exécuta vingt-cinq à Debreczen, et Arthur Barabas Bratmann qui se distingua à Oedenburg. A l’occasion, Szamuely ne dédaignait pas de nouer de ses propres mains la corde, en beau nœud de cravate, autour du cou du patient, et il trouvait aussi plaisir à la lui faire embrasser. Il poussait le sadisme jusqu’à obliger parfois quelque parent du condamné à tirer lui-même la chaise qui soutenait le pauvre diable. Une fois, il fit défiler, pour l’exemple, les enfants d’une école sur la place où se balançait un triste lot de ses victimes. Une autre fois, il s’arrangea pour faire passer une femme, qui ne se doutait de rien, devant le corps de son mari, tout raide à sa branche d’acacia.

Un jour pourtant, les choses faillirent mal tourner pour lui. C’était à Kapuvar. Suivi de quelques Lenin-fiuk, il entrait dans les maisons du village, appelait le maître du logis, et désignant du doigt un arbre de la route : « Va te placer dessous, » disait-il. Bientôt six hommes et une femme se balancèrent au bout des branches. D’autres exécutions allaient suivre, quand, le fusil à la main, un garde-rouge, originaire du village, écartant les gars de Lénine, s’avança vers Szamuely, et se campant résolument devant lui, dit en le fixant dans les yeux : « Camarade, c’est assez, aujourd’hui, pour Kapuvar ! » Et le sombre regard du soldat lui fit comprendre que peut-être il serait dangereux de continuer