temps-là (c’est déjà de la préhistoire) presque toute la cavalerie de nos fiacres parisiens. Comme ils étaient libres et gais dans la vaste pâture, avant de venir mener chez nous leur vie de bêtes parisiennes, pour crever, un jour de verglas, en montant la rue des Martyrs !... Tantôt j’allais chez les bouviers, parmi les bœufs au blanc pelage et aux cornes gigantesques. Et là, ce qu’on voyait souvent, c’était un taureau trop puissant que ses frères, ligués contre lui, avaient chassé à coups de cornes et qui vivait en solitaire, à l’écart du troupeau, plein de fureur et de rancune, remplissant l’air d’un meuglement profond et creusant avec son sabot d’énormes trous dans la terre. D’autres fois, j’allais m’asseoir au milieu des moutons, près du maître berger, dont le bâton, le sceptre pour mieux dire, porte gravé tout le long de son bois une foule de signes mystérieux qui font de cette houlette le registre du troupeau... Au soir tombant, les chiens commençaient leur manège ; les cavaliers en toile blanche, montés à cru sur leurs chevaux, tournoyaient en galops rapides à la poursuite des animaux écartés ; et les immenses troupeaux dociles, se repliant sur eux-mêmes, venaient se rassembler autour de l’arbre mort et du bouchon de paille qui marque la place du campement. Entre le ciel et la terre, quelque cigogne attardée faisait glisser un fantôme de vol, et des milliers d’oiseaux sauvages emplissaient l’air de leurs cris, près des miroirs d’eau morte où s’éteignaient les dernières lueurs du jour. Alors, nous nous asseyions tous autour de la marmite et du ragoût de poivre rouge. Une tradition immuable fixait la place de chacun. On péchait avec ses doigts dans la sauce écarlate les pommes de terre et les morceaux de bœuf ou de mouton et quand le maître-berger jugeait que les uns et les autres, nous avions assez mangé, prenant une motte de terre, il la jetait dans la marmite : le reste appartenait aux chiens. Puis on allumait une pipe ; nous échangions quelques mots ; et à la belle étoile, enveloppés de leurs peaux de mouton, les pâtres s’endormaient dans la paix des premiers jours du monde.
Sur cette antique vie paysanne, que pouvaient les énervements de quelques rêveurs de ghetto ? Et cependant, le pauvre journalier n’aurait pas été fâché de posséder quelques arpents de terre ; et le petit propriétaire aurait vu, lui aussi, avec plaisir le partage des domaines seigneuriaux. Mais les Communistes de Pest, au lieu de partager les terres, firent de ces immenses