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les magasins ayant été vidés en quelques jours, et les commerçants dépouillés n’étant pas assez fous pour se réapprovisionner, même s’ils en avaient les moyens.

Puis à l’exemple de Lénine on organisa la Terreur : « Camarades, s’écriait Napoléon Pogany, nous envoyons, avec une voix qui doit porter au loin, le message suivant à la bourgeoisie d’ici. Qu’elle sache qu’à partir d’aujourd’hui nous la prenons comme otage. Qu’elle sache qu’elle n’a pas à se réjouir si l’armée de l’Entente fait des progrès, car chaque pas en avant des Serbes ou des Roumains entraînera pour elle de cruelles épreuves. Qu’elle ne manifeste pas, qu’elle ne mette pas de drapeaux blancs aux fenêtres ; sinon, avec son propre sang nous teindrons ces drapeaux en rouge ! .. » Des troupes spéciales furent chargées de prouver aux bourgeois que ces paroles du fils du laveur de cadavres n’étaient pas un vain discours. Leur chef, un certain Cserny, pur Magyar celui-là, était un ouvrier en cuir, d’une carrure athlétique. Il avait d’abord servi dans la flotte austro-hongroise ; mais après une rébellion de marins à Cattaro, on l’envoya dans un régiment de hussards, sur le front des Carpathes. Il s’y conduisit bravement. Fait prisonnier au cours de la troisième année de guerre et expédié en Sibérie, il réussit à s’enfuir et rentra à Budapest, en automne 1918, juste à point pour assister à la révolution de Karolyi. Aussitôt, il prit la tête des marins déserteurs qui se trouvaient dans la ville, et par son énergie et surtout l’ascendant de sa force herculéenne, il exerça vite sur eux une domination absolue. Bela Kun, à son retour de Russie, se mit en relations avec lui, fournit les subsides nécessaires à l’entretien de sa petite troupe, et l’envoya même à Moscou, pour étudier sur place l’organisation terroriste. Cserny revint au bout de peu de temps, initié aux bonnes méthodes, et ramenant avec lui quatre-vingts bourreaux diplômés pour l’instruction des Hongrois. Un Juif russe, Boris Grunblatt, et un cambrioleur serbe, du nom d’Azeriovitch, étaient chargés, à Budapest, de lui recruter des hommes. Il n’acceptait dans sa bande que des gens bruns de cheveux et de peau, car il trouvait les blonds trop sensibles. Les recrues devaient s’engager par serment à exécuter de sang-froid n’importe quelle sentence de mort. Toutefois la pendaison, qui exige un tour de main particulier, était réservée à quelques privilégiés.

La troupe grossit rapidement. De deux cents hommes qu’elle