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toute la féerie de ses nuances ; au loin, le dôme de la Salute resplendit comme au bout d’une avenue triomphale. Les cloches de l’Ave Maria roulent sur l’eau morte leurs ondes sonores. C’est une minute délicieuse, presque divine. Et puis les mouvants tissus de reflets et de vapeurs se défont, pâlissent, s’évanouissent, la symphonie des cloches n’est plus qu’un murmure dans le vent. Devant le crépuscule qui tombe, les yeux assombris se tendent vers la splendeur éteinte, le cœur abandonné et vide sanglote et se désespère. Rien ne lui est plus, rien n’est plus... Rien n’est...


Cette impression finale que nous laisse l’Italie d’Henri de Régnier, elle rejoint l’impression de désenchantement et de nihilisme épicurien qui se dégage de son œuvre tout entière.

Ses amants de Venise, comme ses amants de Rome, ou périssent de maie mort, ou meurent sans gloire, à la façon du pauvre M. de Galandot, — ou bien, ce qui est pis, ils se résignent à la médiocrité, à l’esclavage, à une sorte d’infamie décente, pour sauvegarder au moins le misérable bien-être dont ils ne peuvent plus se passer. Les grandes amoureuses de ces aventures passionnelles font presque toutes le mariage d’argent avec le vieillard riche ou le quadragénaire maniaque et fortuné qui assure le yacht et l’automobile. Les amoureux ingénus, comme le naïf Pierrot épris de la perfide Colombine, sont habituellement assassinés par les amants ou les entreteneurs de ces dames. Dans le Passé vivant, le comte Ceschini, qui a rêvé d’être un aventurier héroïque et qui promène par le monde une tête de condottiere sans emploi, finit à Paris, loin de ses villas, de ses palais, de ses terres et de ses vassaux, dans l’esclavage d’une vieille maîtresse qui est une maîtresse-femme : Hercule en redingote aux pieds d’une Omphale sexagénaire et décrépite...

Si l’on songe à cette déception perpétuelle que le romancier inflige à ses personnages comme aux propres élans de son cœur et de sa fantaisie, une tristesse infinie vous pénètre. De tant d’excursions à travers un des plus beaux pays du monde, à travers les merveilles de l’art et les gloires du passé, qu’est-ce qu’il nous rapporte ? Qu’est-ce qu’il offre à notre avidité de voir et de savoir, de jouir et d’aimer sans fin ?... Quelque chose comme l’urne de bronze vert, qui, dans la Double maîtresse, reste