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dont le nom seul affola des générations de jeunes femmes, de jeunes gens et de militaires. La Comédie et le « Rendez-vous des officiers, » c’étaient les deux pôles des élégances citadines d’alors. Qu’on se rappelle, dans les Mémoires de Gœthe, l’arrivée des comédiens français à Francfort, la fièvre de plaisir et de frivolité que la seule présence de Mignon et de sa troupe communiquaient à ces honnêtes Allemands. Qu’on songe enfin à la vogue de la peinture de Watteau et de ses figures masquées. La mascarade, le masque répondent à des instincts profonds et permanents de l’âme humaine. Traverser la vie sous un voile ou sous un visage d’emprunt, la traverser sans y prendre part, en inconnu, en errant, en ne cueillant d’elle que ce qu’elle a de plus exquis ou de plus enivrant, c’est toujours, plus ou moins, le rêve secret de nous tous !... oui, de nous tous ! même des mystiques et des saints.

Henri de Régnier sent cela très profondément. Ainsi s’explique sa tendresse complaisante pour les marionnettes de bois ou de carton de la comédie italienne. Depuis Théophile Gautier, qui lésa célébrées avec plus de lyrique enthousiasme ?... « Oh ! l’amusante troupe qu’ils formaient, en leur assemblage bariolé !... Il y avait là Pantalon, avec son pourpoint de drap rouge et sa grande robe de drap noir, et, auprès de Pantalon, Brighella et Tartaglia : Brighella tout habillé de blanc et chamarré de passementeries vertes, avec son masque à moustaches, son escarcelle et son poignard ; Tartaglia, en drap vert, rayé de jaune, et portant sur le nez de grosses lunettes bleues. Il y avait là le noir Scaramouche à la figure enfarinée... et le blanc Pulcinello, masqué de noir sous son chapeau de feutre gris... et Rosaura et Giacometta, et Coraline à la jupe de soie verdâtre... et l’élégant Lélio, et Mezzetin et Arlequin et Colombine, Arlequin avec son masque, son serre-tête et sa mentonnière noire et qui arborait au chapeau une queue de lièvre et qui saluait gravement de la batte trois personnages du carnaval de Venise... tandis qu’au milieu d’eux un Centaure cambrait fièrement son torse d’homme barbu sur un corps de cheval aux sabots de corne... »

Mais ils vivent toujours, ces types ! M. de Henri de Régnier les retrouve sur les places et les placettes, au tournant de tous les calli de Venise ! Il entre dans un café, — et voici que surgit devant lui « un grand diable maigre et dégingandé, un vrai Vénitien du temps de la Sérénissime République, du temps de