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Roi Très chrétien au Sénat et au Peuple romain, les fontaines aux beaux noms sonores comme leurs ondes perpétuelles, les jardins des villas, — et cette étonnante Place du Peuple, dont les chaudes colorations orangées et vermeilles sont une surprise et un émerveillement, — et Monte-Cavallo, avec ses colosses, son obélisque, les lances et les panaches neigeux de ses jets d’eau au clair de lune... Et la vie qu’on menait à Rome en ces siècles bénis et de tout repos : les chaises de poste des étrangers, les carrosses et les parasols écarlates des cardinaux. Et aussi la populace du Vélabre et des quais du Tibre : les matelots, les filles, les ruffians, les cicérones... Par-dessus tout, la volupté romaine : un sorbet ou un fruit dégusté sur une terrasse, à l’ombre d’une treille ou d’un figuier, par un après-midi de grand soleil...

Mais cette Rome elle-même, cette Rome cléricale et galante, est encore trop austère au gré d’Henri de Régnier. Il en est pareillement des petites villes ombriennes ou étrusques, comme cette Viterbe « aux placettes silencieuses, où coulent des fontaines en des vasques usées, où les maisons sombres et serrées regardent le passant avec une mine renfrognée, où les habitants portent la cape montagnarde et considèrent l’étranger avec une hautaine méfiance... » Le poète se borne à noter ces silhouettes entre deux trains. En revanche, à Naples, il se délecte et s’épanouit. Ce qui l’enthousiasme, c’est moins la Naples grouillante et trop commerçante d’aujourd’hui, que la Naples du XVIIIe siècle, — toujours, — celle de Casanova, ce type si pittoresque et si extraordinaire d’aventurier, en qui Henri de Régnier incarne l’idéal de certains de ses héros. Pour eux le chevalier de Seingalt représente tout ce qu’ils aiment et tout ce qu’ils auraient voulu être : le monde, les cours, les grandes villes de plaisir, le joueur, le séducteur, le coureur d’aventures, l’homme masqué qui évolue mystérieusement à travers tout un labyrinthe d’intrigues... Quelque part, l’un de ces personnages imagine de refaire pour son compte l’odyssée de Casanova, « de visiter Naples, Rome, Venise et les autres villes casanoviennes. » En tout cas, c’est par les yeux de l’irrésistible chevalier que M. Henri de Régnier se plait à voir Naples, — une Naples défunte, bien entendu : « L’imagines-tu avec ses rues étroites où s’agitait la cohue populaire, où se coudoyaient les coureurs et les laquais, les bouffons, les abbés et les soldats, tout un