Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’influence persistante de l’éducation première, — un provincial, qui adore l’ancienne province française, toute une civilisation, évanouie sans doute aujourd’hui, mais dont il a pu saisir un reflet chez de vieux parents ou de vieux amis, qui en furent les contemporains. Comme Barbey d’Aurevilly, Henri de Régnier est Normand, c’est-à-dire qu’il nous vient d’une de nos provinces les plus conservatrices, une de celles qui non seulement ont le mieux gardé les vieux usages et les vieilles mœurs, mais qui sont les plus originales, les plus fortement caractérisées. Ainsi s’explique peut-être qu’il ait peint à merveille les hobereaux de l’ancien temps, tout comme Barbey. Il n’a pas eu besoin, comme l’auteur du Chevalier Destouches, de les voir de ses yeux. Par delà deux siècles révolus, il les rejoint à force de sympathie et de ferveur imaginative, il est leur ami, leur voisin de campagne, leur petit-fils ou leur cousin-germain. Quoiqu’il ne cache rien de leurs ridicules, de leurs vices, de leur brutalité, voire de leur grossièreté rustique dissimulée sous les belles manières ou les galants atours, on peut dire qu’il les aime, qu’il les peint avec l’amour du peintre pour un riche et beau modèle. Et cela sans nul retour offensif (comme chez Barbey) contre les mœurs ou les hommes de la France nouvelle. Aucune aigreur, aucune morgue, nul anathème jeté au présent : il l’ignore, voilà tout.

Et, à ce propos, il n’est sans doute point inutile de rappeler combien les romans de M. Henri de Régnier sont étrangers à la plupart des sujets qui passionnent les Français de ce temps : ni la question sociale, ni la question religieuse, ni le divorce, ni la repopulation, ni le régionalisme, ni quoi que ce soit qui touche à la politique, rien de tout cela n’a accès dans son œuvre. Cela semble ne pas exister pour lui. Il a encore rétréci le cercle où se meut la tragédie classique, même la tragédie racinienne, qui admet la politique et l’histoire. Pour lui, il n’y a que l’amour, ou la volupté. C’est son unique sujet. De même son univers ne contient que des palais, des châteaux, de beaux jardins, des salons, des bosquets et des kiosques, des grands seigneurs et des hobereaux, des soubrettes et des valets, généralement « fripons, » — enfin des hommes de loisirs et de culture, avec un peuple de serviteurs qui glissent ou qui papillonnent silencieusement autour d’eux, — des êtres passionnés pour qui la passion et le plaisir sont le tout de l’existence.