dont l’imagination se tourne amoureusement vers le passé. C’est son droit, c’est le droit de tout écrivain et de tout artiste, aussi bien que de l’historien. Notre domaine doit être illimité. Nous sommes les maîtres du temps comme de l’espace. Tout ce qui fut est de la réalité, et c’est encore de la vie. Rien de plus étroit et de plus pédantesque que le vieux préjugé des naturalistes, subi encore par beaucoup de romanciers d’aujourd’hui, lesquels se renferment de parti pris dans le présent, pour ne pas dire dans l’instantané, et sont persuadés qu’on n’exprime bien que ce qui tombe sous les sens. M. Henri de Régnier est d’un tout autre sentiment. Il prétend sentir et voir le passé aussi bien et même mieux que l’actuel et l’immédiat. En tout cas, c’est au passé, — à un certain passé, — qu’il a donné son cœur. Il ne reprend pied dans le présent qu’autant qu’il y retrouve la trace ou le fantôme de ce passé qu’il aime. Le Passé vivant, — c’est-à-dire l’histoire continuant à vivre et à se promener dans le monde sous des masques nouveaux et tout contemporains, — tel est le titre d’un de ses romans les plus italiens. Ce pourrait être le titre général de toute son œuvre.
Dans ce passé, toujours brillant pour lui d’une fraîche nouveauté, le siècle qu’il préfère entre tous, c’est le XVIIIe : époque de décadence sans doute, de corruption intellectuelle et morale, — il l’avoue avec détachement, — mais époque réellement exquise, où jamais peut-être on n’a poussé plus loin le goût de la volupté et l’art de jouir de la vie, où les passions les plus violentes, contrariées et bridées par l’étiquette mondaine, sont parvenues à un degré de concentration, ont donné un bouquet encore inconnu. Mais surtout époque faite à souhait pour la délectation de tous les sens et principalement pour le plaisir des yeux, où une élite humaine réussit à vivre réellement en décor et en beauté...
Toutefois, il importe de le remarquer, si l’atmosphère morale, où s’épanouit M. Henri de Régnier, est surtout celle du XVIIIe siècle, son décor favori, — son grand décor, — serait plutôt celui du XVIIe siècle. Les jardins où se plaît le poète de la Cité des eaux, comme le romancier de la Double maîtresse, ce sont les jardins de Versailles, ou les parcs des vieux châteaux de province, avec leurs nobles futaies et leur belle ordonnance à la française. Quand il nous parle du Roi, des dragons ou des galères du Roi, c’est tout de suite à Louis XIV que nous pensons, à un puissant monarque portant, sur une vaste perruque, un