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décourager. On sera heureux plus tard d’avoir cette notation familière juste et précise : le Français qui conquit la Victoire en y croyant.

La Victoire ! C’est elle, en d’autres temps, aux siècles passés, sous Louis XIV ou Napoléon et jusqu’au milieu du XIXe siècle, qu’on eût figurée exclusivement, après une lutte si longue, close par un si complet écrasement de l’ennemi ! C’est elle qui tient, ici, le moins de place... Et encore, à part fort peu d’exceptions, ces projets de monument à la Victoire ou de poilus victorieux n’ont pas été commandés aux artistes. Ce qu’on leur a demandé surtout de commémorer, d’un bout à l’autre du territoire, ce n’est pas la France triomphante, c’est la France souffrante et compatissante, c’est la douleur, l’héroïsme et la mort. C’est à quoi répondent les plus beaux morceaux de sculpture du Salon : la Mise au tombeau de M. Landowski, dédiée aux morts de la faculté de médecine de Bordeaux ; la Résignation de M. Bouchard, fragment du monument qui doit être érigé à Saint-Gilles dans le Gard ; la figure de Bretonne pleurant, en granit de Kersanton, fragment du monument aux morts de Tréguier, par M. Francis Renaud, et, avenue d’Antin, les femmes de Plouhinec et de Scaer, figurées dans le granit, par M. Quillivic pour les monuments aux morts de ces deux communes. Les deux poilus, casqués, en capote, que M. Landowski montre à genoux, ensevelissant un camarade, sont d’un grand caractère : la courbe de leurs épaules inclinées face à face, semble commencer la ligne d’une voûte invisible, la crypte imaginaire qui recouvre le mort. La figure hiératique de M. Bouchard, droite et grave dans ses plis immobiles et tombants, ne déparera pas l’ensemble auquel elle est destinée. Tous ceux qui ont vu, doré par le soleil, le porche de Saint-Gilles, au bord de la Camargue, ou qui en ont simplement aperçu les saisissantes images dans le grand ouvrage consacré aux Sculpteurs romans par M. et Mme Forel, éprouveront que voilà bien la figure qu’il fallait en cet endroit pour honorer les nouveaux morts sans rien rompre de la tradition qui les unit à leurs aïeux.

Une foule d’autres statues de blessés ou de morts, soutenus ou pleures par des figures allégoriques de la patrie, augmentent cette impression. Victoria dolentia, le titre donné par M. Ladmiral à son projet de monument à deux victimes de la guerre exprime bien la pensée de tous ces artistes. Le cortège funèbre