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le même, indéfiniment répété, mais qui n’en vaut pas mieux pour être devenu la pire banalité dialectique : tout art puissant et original, dit-on, commence par être incompris. Or celui-ci est incompris, donc il est puissant et original. Ce psittacisme repose sur un postulat entièrement faux, démenti par l’histoire de l’Art durant quatre siècles, et il s’exprime par le raisonnement le plus enfantin, le raisonnement par analogie, c’est-à-dire qui, de la ressemblance de deux choses en un point, conclut à leur identité en tous les autres. On démontre ainsi tout ce qu’on veut. Il n’y a pas de pseudo-inventeur évincé par quelque bureau technique des inventions qui ne puisse démontrer que sa trouvaille est géniale, puisque Fulton, Bessemer, Pasteur furent longtemps contestés. S’il suffit à une œuvre de déplaire pour être géniale, nous sommes entourés de génie. Mais le génie se reconnaît aussi à d’autres signes et vainement les chercherions-nous. Des inventions qui ne sont que des prétentions, des découvertes qui sont des banalités, des essais de mouvement perpétuel où rien ne bouge, des vacarmes qui endorment tout le monde par leur monotonie et leur perpétuité : tels sont les apports des futuristes, ou de ce qu’on pourrait appeler les « autotomistes, » au Salon de la Société nationale. Ils ne font même plus rire. Ils dégagent un universel et pénétrant ennui. Depuis Cornélius, Overbeck, ou la suite académique de David, rien d’aussi morne et d’aussi froid ne s’était appesanti sur l’Art. Le public passe, indifférent, réservant ses discussions, c’est-à-dire sa curiosité, pour des choses qui lui semblent en valoir la peine. La critique dite d’avant-garde lui prodigue ses sarcasmes et ses mépris, mais il s’en venge de la façon la plus simple et la plus sûre : il les ignore et s’en va. Les vieux maîtres profitent de cette muette protestation. On s’écrase aux Hollandais ou à Ingres : on fait le vide aux Cubistes. Les fauves rugissent dans le désert. C’est dorénavant du scandale sans témoin, du tapage dans la solitude. Par là, se vérifie le mot de Talleyrand, aussi vrai en art que dans la vie : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. »


II

Le dernier mot de l’Art est-il donc la production des peintres officiels et des chefs d’ateliers ? répondent les protagonistes des