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démodées dont ils n’ont pas entendu parler pour la raison qu’elles étaient déjà oubliées de leurs pères ou de leurs maîtres, si bien qu’on avait cessé de les professer et même de les combattre. Il s’ensuit que la jeunesse est une dupe très facile pour les vieilleries rafistolées avec art. Ce n’est pas assurément que l’idée surannée, ainsi ramenée à la lumière, et convenablement camouflée grâce à quelques termes pseudo scientifiques, soit toujours fausse. Elle peut être fort juste. Mais celle-ci, qu’il faut rompre avec la science acquise de l’Ecole pour retrouver l’originalité créatrice, est une idée à la fois fausse et surannée. Elle remonte fort loin, non pas jusqu’aux belles époques vivantes de l’art, — elle était inconnue encore du temps de Watteau ou de Tiepolo, — mais elle a traîné, depuis, dans tous les ateliers où s’élaborèrent des réformes mort-nées et des programmes qu’aucune réalisation n’a suivis. Les « fauves, » on les a vus déjà, sous d’autres noms et parfois sous des noms tout semblables. Ce sont les Barbus de l’an VIII, qui s’affublaient aussi du vocable de Primitifs et suivaient Maurice Quay dans ses frénésies destructrices de la Renaissance, lorsqu’il s’écriait en plein atelier de David : « Il faut brûler tous ces prétendus chefs-d’œuvre (du Louvre) qui font horreur aux gens imbus des pures doctrines ! Ce jour viendra, mes amis !... » Ce sont les Chevelus de 1830, puis les Préraphaélites, que Raphaël indignait comme l’auteur responsable de tout l’académisme contemporain. Ce sont les grandes barbes de 48, c’est Oscar l’ami de Jérôme Paturot, démolisseur du Panthéon ou de Versailles. Ce sont, enfin, les Rose-Croix de Péladan. Ce sont les esprits étroits et systématiques de tous les temps, à qui la négation suffit et tient lieu de tout le reste. Les gens qu’ils ont dévorés, il y a soixante ou cent vingt ans se portent fort bien, mais eux-mêmes ils sont si bien oubliés que leurs erreurs peuvent indéfiniment réapparaître comme idées nouvelles, aucune œuvre n’étant plus là pour en témoigner.

Au même ordre d’idées fausses appartient celle-ci que l’exagération ou l’outrance du caractère, en art, est signe de puissance. Elle tire quelque crédit de l’admiration désordonnée que soulève, depuis quelques années, le Greco. Et il est vrai que le Greco va jusqu’à la déformation dans ses figures, ce qui leur prête un aspect fort singulier. Mais sans examiner si c’est voulu, ou si ce n’est pas plutôt dû chez lui à une maladie de la vue, comme