Et si l’on peut citer de lui telle boutade, qui ferait supposer qu’il n’avait aucune foi, il faut bien se garder de tirer, d’une cause aussi menue, une conclusion si grave et si fâcheuse. On doit accorder un tout autre crédit à quelques faits positifs qui seront cités à leur date, dans ces pages, et à l’affirmation d’un de ses familiers qui me disait : « En toute occasion sérieuse, il parlait, au contraire, des choses de religion avec un respect inouï. »
Je n’aurais pas fait une esquisse complète de ce grand Français, si je ne disais encore qu’il était généreux. Sa bourse s’ouvrait facilement. Ses provisions de commandant, il les partageait, en voyage, avec ses officiers et souvent les sous-officiers qu’il invitait ; parmi les tribus, il aimait à distribuer des cadeaux, et lorsque, bien des années après celle que je raconte ici, le général Laperrine partit pour ce voyage aérien vers le Hoggar, qui devait être son dernier voyage, il emportait, à bord de l’avion, en guise de bagages, un petit colis de soieries légères pour les femmes et les enfants touaregs.
Tel était le visiteur dont la venue fut une grande joie pour Frère Charles. Ils durent causer longuement, un peu du passé, beaucoup de l’avenir de leur Afrique. Cependant, le diaire n’en dit rien. Ni l’arrivée de ce détachement militaire sur le plateau de Béni Abbès, ni la réception faite au commandant déjà légendaire, ni les mots de Laperrine, ni les conversations des deux amis ne sont racontés. Comme ce Frère Charles était peu romancier ! Une simple note, très courte, une confidence :
« Il (Laperrine) avait obtenu, il y a quelques jours, l’autorisation de faire, ce printemps, une triple opération : 1° d’aller d’In Salah à Timbouktou, et de joindre définitivement et militairement, par la force au besoin, le Tidikelt au Soudan ; 2° de conquérir le Hoggar et de pousser jusqu’à Agadir ; 3° de gagner l’Océan Atlantique, au Sud de Dra, en occupant Tabelbalet et Tindouf. Mais, après lui avoir accordé ces autorisations, on les lui a presque aussitôt retirées, ces jours derniers. »
Et Laperrine poursuit sa tournée.
Mais cet entraîneur d’hommes appellera bientôt son ami Charles de Foucauld, et l’emmènera très loin.
RENE BAZIN.