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Cette doctrine, qui fut victorieuse et nous vaut un empire colonial jalousé, il ne l’a exposée ni dans un traité d’art militaire, ni dans un récit de ses campagnes. « C’est dans sa correspondance de commandant militaire qu’un historien, épris des choses sahariennes, ira chercher, tôt ou tard, les principes de la police du désert. S’il est vrai qu’un homme écrit comme il pense, Laperrine est là tout entier. Les gros cahiers d’instructions et d’ordres sont de sa main, tracés d’une ferme et expressive écriture : le texte néglige l’accessoire pour courir à l’essentiel. Jusqu’à la bousculade de l’orthographe, — Laperrine, comme Mme de Sévigné, avait le dédain des conventions académiques, — tout révèle le feu intérieur... Partout on retrouve l’empreinte laissée dans l’esprit de Laperrine par ses années de jeunesse : s’adapter au milieu, se faire nomade avec le nomade, contre-razzieur avec le razzieur, prendre à l’indigène tout ce qu’il peut donner de son expérience instinctive, et l’emporter sur lui par l’ascendant moral, le raisonnement et la conscience [1]. »

La vocation de Laperrine et celle de Foucauld étaient donc sœurs, non pas semblables ni de même caractère, mais variétés, toutes deux, de la même espèce, très française et très chrétienne. Leur amitié, pendant quarante années, s’explique par cette commune intelligence du rôle civilisateur de la France. Mais je crois que d’autres éléments encore l’ont formée et maintenue. Foucauld, chez Laperrine, admirait une âme loyale, ardente, capable de sacrifier à l’idéal toutes les aises, le repos, la santé, la vie elle-même, et, ce qui est plus rare, l’avancement. Laperrine admirait, chez Foucauld, des dons pareils aux siens, mis au service d’un idéal encore plus grand : la sainteté personnelle et le rayonnement de la sainteté parmi les indigènes. La vie militaire coloniale, qui n’est pas celle d’un pensionnat de jeunes filles, l’éloignement des milieux chrétiens, la préoccupation d’un esprit toujours tendu ou ramené vers le devoir militaire, avaient pu détourner Laperrine de la pratique religieuse. Mais cet élève des Dominicains de Sorèze demeurait, au fond, un croyant. Ses deux plus chers amis étaient deux prêtres, avec lesquels il entretenait la correspondance la plus suivie : son frère, Mgr Laperrine d’Hautpoul, et le Père de Foucauld.

  1. Le général Laperrine. Bulletin de l’Afrique française.