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Frère Charles se décide à débonder le fût. On s’aperçoit alors que c’était une cloche, au battant bien enveloppé de chiffons, qui avait voyagé sous les douves de châtaignier, et qu’on avait rafraîchie avec ce soin touchant. Elle fut suspendue en haut d’une sorte de petite cour carrée, — je dirais campanile, si le mot n’était pas ici d’une ambition démesurée, — qui flanqua la chapelle. Et elle sonnait, me racontait un témoin, elle sonnait plus souvent que nous n’aurions parfois voulu, non seulement dans le jour, mais la nuit, à dix heures, à minuit, à quatre heures du matin. Le son, dans l’air fin du désert, arrivait sur nous, dans la redoute, comme si nous avions été sous le battant. C’était Frère Charles, qui s’appelait lui-même à l’office.

« 20 janvier 1903. — Deux harratins d’Anfid, Barka ben Ziân, et Ombarek, connus pour leur honnêteté, me demandent de les instruire de la sainte religion, et paraissent sincères.

« 21 janvier 1903. — Un enfant de treize ans, natif du Touat, esclave depuis six ans, est racheté, et déclare, avant même son rachat, qu’il veut suivre la religion de Jésus, et rester avec moi. Racheté aujourd’hui à midi, il entre immédiatement au catéchuménat, sous le nom de Pierre. »

En mars, visite d’un ancien camarade, Henri Laperrine. Il arrive à Béni Abbès le 6. Il est commandant supérieur des oasis sahariennes, c’est-à-dire du Gourara, du Touat, du Tidikelt.

Henri Laperrine, qui réapparaît ici aux côtés de Charles de Foucauld, avait été sous-lieutenant au 4e chasseurs d’Afrique [1]. De taille moyenne, de corps souple et musclé, le visage pâle et maigre, les traits fins, la barbe châtain-clair en court éventail, les yeux vifs, d’ordinaire malicieux, durs par moments, il passait déjà, à l’époque où il arrive ainsi, faisant sa tournée de chef, à Béni Abbès, pour un des types achevés du cavalier colonial. Presque jamais on ne le voyait coiffé du casque de toile, ou vêtu à la mode arabe, ou costumé en Touareg, Il permettait ces fantaisies, — et quelques autres, — à ses subordonnés, dans les lieux de séjour. Lui, sous la pluie de feu du soleil, il portait le képi de drap, penché sur l’oreille droite, et s’habillait à l’ordonnance. Il pouvait faire dix heures de cheval, par 40 degrés de chaleur, et arriver à l’étape le col boutonné et le corps droit sur la selle. Peu de coureurs de brousse furent,

  1. Né à Castelnaudary, le 29 septembre 1860, par conséquent de deux années plus jeune que Charles de Foucauld.