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et un mètre de drap blanc. L’homme qui avait apporté le paquet, voyant ce coupon d’étoffe et, en même temps, la misérable gandourah élimée, déchirée, percée, dont était vêtu le Père de Foucauld, s’était dit que dans ce beau drap blanc, on pourrait découper des pièces dont avait grand besoin la tunique de son ami. A peine rentré au camp, il se rendit donc chez le tailleur du bataillon, et le dépêcha vers l’ermitage. L’autre ne tarda pas beaucoup à faire la route. Peut-être voulut-il attendre que la plus rude chaleur de l’après-midi fût passée. Toujours est-il que, vers le soir, avant le soleil couché, il était de retour au camp, et, prenant une mine déconfite :

— Rien à faire !

— Comment, il ne veut pas qu’on répare sa gandourah !

— Pas précisément : mais déjà il n’avait plus le morceau d’étoffe : il l’a donné.

En effet, sur le plateau encore ardent, ils pouvaient apercevoir, fier et courant se montrer à ses camarades, un négrillon qui sortait de l’ermitage, enveloppé dans un sac aussi blanc que la neige.

Vers le même temps, — peut-être un peu plus tôt, — un officier, qui s’occupait du ravitaillement des postes des oasis, remarqua, sur le quai de la gare d’Oran, un petit fût adressé au R. P. de Foucauld à Béni Abbès. « Vin de messe, pensa-t-il, et qui ne peut manquer de s’aigrir : le voyage, la chaleur ont déjà dû l’avarier. En quel état parviendra-t-il au pauvre Père ! » Aussitôt la découverte faite, on s’empresse de loger le fût, à l’ombre, dans un magasin ; un homme de bonne volonté, et qui connaît les soins à donner au vin en danger, verse plusieurs seaux d’eau sur le baril, qui est recommandé aux convoyeurs du train d’Oran à Béni Ounif et deux ou trois fois aspergé, le long de la route. A Béni Ounif, le moment venu où le convoi se forme pour ravitailler Béni Abbès, on place le fût sur le des d’un chameau, et, comme l’amitié pour le Père de Foucauld était grande partout, on ne vit jamais colis plus surveillé, mieux recouvert de laine pendant les étapes, déchargé avec plus de soin lorsque la caravane, le soir, faisait halte pour la nuit. Enfin, le précieux baril de vin de messe est apporté à l’ermitage.

— Voilà votre vin de messe, mon Père !

— Mais je n’en ai pas demandé.

— On vous en envoie : regardez l’adresse.