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(Ne publiant ici que des fragments de la biographie de Charles de Foucauld, je laisse, sans les citer ou les résumer, les dernières pages du journal de 1901, les premières du journal de 1902, et j’arrive au mois de juillet de cette année-là. Dans les mois qui précèdent, l’ermite, avait racheté et libéré plusieurs esclaves.)


Il disait : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère, le frère universel... Ils commencent à appeler la maison la Fraternité (la Khaoua, en arabe), et cela m’est doux. »

Cette expression si belle convient à l’apôtre et pourrait le définir : il a été vraiment le frère universel, non en paroles, mais en actes ; il ne s’est pas répandu en formules publiques, et en promesses qui alourdissent encore le poids de la misère, mais il s’est oublié pour les hommes ses proches voisins, et il a dépensé plus qu’il n’avait d’argent pour les nourrir, pour les racheter, s’ils pouvaient être rachetés. Sa manière à lui, était silencieuse. Il n’y avait pas quatre mois qu’il habitait Béni Abbès, et déjà il avait fait le compte de toutes les misères matérielles ou morales qui n’y trouvaient point d’allégement. Tout de suite, dans ses longues méditations auprès de l’autel, ou tandis qu’il s’en va, portant sa pierre, en compagnie des maçons de l’ermitage, il fait un plan pour un meilleur Béni Abbès, mais un plan où il aura lui-même la plus grande part de travail et de sacrifice. Bâtisseur d’idéal, il se demande : « Que peuvent les autres, qui sont meilleurs que moi, pour le bien de ceux-ci, et que puis-je surtout, moi qui ne suis qu’un misérable, bon à rien ? » C’est ainsi qu’il distribue les rôles, dans une lettre adressée à un ami de France. Il confie à cet ami le grand désir qu’il aurait d’obtenir, pour l’oasis de Béni Abbès, quelques sœurs de Saint-Vincent de Paul. « Je suis navré, quand je vois les enfants du bourg vaquer à l’aventure, sans occupation, sans instruction, sans éducation religieuse. Une salle d’asile ferait un tel bien ! C’est ce qu’il faudrait pour faire pénétrer l’Evangile. » Puis il rassemble toutes ses pensées sur ce sujet, il compose un véritable mémoire qu’il enverra au P. Guérin, vicaire apostolique du Sahara. On y reconnaît son grand cœur et la minutie qui ne le quitte point, même quand il rêve. Il va au delà du temps présent et au delà du bien immédiatement