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l’oasis, étroit d’abord, prend de l’ouverture, comme la panse d’une aiguière, et c’est mieux qu’un couloir boisé, c’est une petite plaine qu’ils enserrent, coupée par la rivière, sans arbre sur la rive droite, toute plantée, sur l’autre rive, de palmiers qui abritent des abricotiers, des pêchers, des figuiers, des pieds de vigne. Là, dans la forêt, vers le milieu, il y a un village fortifié où l’on pénètre par une porte unique, où les rues sont couvertes presque partout ; village peuplé d’hommes libres, les Abbabsa, les fils de Béni Abbès. Plus loin, et vers l’extrémité, un second village, aux murailles très hautes et semblables à celles d’un château féodal, est habité par des Arabes de la tribu des Renanma, qui font paître leurs chameaux et leurs ânes dans les pauvres pâturages de la région. Les nègres, jardiniers, semeurs et moissonneurs d’orge, logent à la lisière de la palmeraie, le long d’un ravin qui donne accès au plateau du bordj. Et la population indigène, divisée ainsi en trois groupes, comptait de douze à quinze cents âmes.

Frère Charles avait choisi ce lieu d’apostolat, en raison des misères qu’il y rencontrerait et que pas un prêtre encore n’avait pu secourir ; à cause de la proximité du Maroc également, la terre très aimée, où il espérait pouvoir rentrer un jour en missionnaire ; il savait enfin que Béni Abbès passait pour la plus jolie des oasis du Sud algérien, le plus beau fragment même de la longue rue de palmiers qui commence à Figuig et va finir à In Salah. Au moment où il arrivait, la grande redoute qui commande l’entrée de la palmeraie n’existait pas encore ; une autre, moins importante, aujourd’hui détruite, s’élevait un peu plus loin, sur la crête de la falaise, et abritait la garnison [1]. Il suivit le chemin tracé par le pas des hommes et des bêtes. A peine eut-il gravi la pente raide, bordée de huttes, qui conduisait au sommet du plateau, qu’il fut ravi d’admiration. Au Nord et a l’Est, Béni Abbès était enveloppé, à peu de distance, par les vagues de sable rose ou doré de l’Erg occidental, les grandes dunes mêlées, fuyantes, et dont plusieurs s’élèvent à 150 et 200 mètres, tandis que, vers l’Ouest, au delà de la coupure du ravin et de la palmeraie, s’étendait le second plateau, rocheux, rigide et tabulaire, sans arbre et qu’on eût dit sans fin. Le voyageur se trouvait à un point de jonction entre les deux

  1. Les premières troupes d’occupation comprenaient : trois compagnies de tirailleurs africains et une compagnie d’infanterie légère.