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VII. — L’APPEL DU DÉSERT

C’est là que Frère Marie-Albéric passa six années, au cours desquelles s’affirme la vocation la plus exceptionnelle, en nos temps, et qui devait l’entraîner dans les plus dures solitudes du monde. Au début de 1897, l’heure allait venir, pour lui, de renouveler ses vœux de trappiste. Ils ne seront pas renouvelés. Frère Marie-Albéric vient à Rome, il demande conseil, il désire mener la vie d’ermite. Qui va le comprendre ? Qui va le soutenir ? Le chapitre général de son ordre, qui sait cependant quel religieux exemplaire et aimé il va perdre, ne cherche pas à le retenir. A l’unanimité, ces vieux trappistes reconnaissent une destinée, là où tant d’autres hommes, moins habitués à lire les âmes, eussent dit sans doute : caprice et esprit de changement. Dans les derniers jours de février, Charles de Foucauld repart pour la Terre Sainte. Il s’établit dans une cabane, hors des murs de clôture d’un couvent de Clarisses, à Nazareth ; il y devient, comme il dit, serviteur, jardinier, commissionnaire, et vit de la sorte environ trois années.

Là encore son mérite est découvert, son passage dans les rues guetté par les enfants, son nom cité dans les conversations des puissants de la terre. La légende commence à s’emparer de lui. Mais la longue période de l’incertitude et de l’apprentissage est finie. Au mois d’août 1900, ayant enfin accepté de se préparer au sacerdoce, il rentre en France, et demande asile, pour des mois d’études et de recueillement, à l’abbaye très aimée, celle des premiers jours, Notre-Dame des Neiges.


Au moment où je reprends le récit, Charles de Foucauld a été ordonné prêtre par Mgr Bonnet, évêque de Viviers ; il a décidé de continuer à vivre en ermite, non plus en Asie, mais parmi les populations infidèles « les plus délaissées. » Il va partir pour Béni Abbès. Il a demandé, aux autorités civiles et militaires, l’autorisation de s’établir dans ces régions extrêmes occupées depuis peu de mois. Les autorités religieuses sont saisies du projet. Voici la lettre qu’il avait adressée au préfet apostolique du Sahara :

« Le souvenir de mes compagnons morts sans sacrements et sans prêtre, il y a vingt ans, dans les expéditions contre Bou-Amama,