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des horizons qu’il avait aimés ? Sans doute, mais le temps n’était plus où l’Orient ne représentait pour lui que la terre préférée du voyage, de l’étude et du rêve. D’autres attraits, d’espèce âpre et mystérieuse, le conduisaient vers le monastère d’Akbès.

Tout est préparé pour le voyage. Une place est retenue, à destination d’Alexandrette, sur un bateau qui part de Marseille le 17 juin 1890. La veille. Frère Marie-Albéric écrit à sa famille :

« Je me vois sur le bateau qui m’emportera demain, il me semble que je sentirai toutes les lames qui l’une après l’autre m’éloigneront ; il me semble que ma seule ressource sera de penser que chacune est un pas de plus vers la fin de la vie...

« De Marseille à Alexandrette, je serai seul, le frère qui devait partir avec moi reste ; je suis satisfait de cette solitude, je pourrai penser sans contrainte. L’adresse est : Trappe de Notre-Dame du Sacré-Cœur, par Alexandrette (Syrie). J’arriverai à Alexandrette le treizième jour de la traversée. On part le lendemain matin pour Notre-Dame du Sacré-Cœur, et on y arrive le surlendemain soir, après deux jours de marche. »

Et quand la traversée est sur le point de finir, il trace sur une feuille de papier ces mots, véritable cri de tendresse angoissée : « Demain je serai à Alexandrette, et je dirai adieu à cette mer, dernier lien avec ce pays où vous respirez tous. »

Il débarque. Le voyage commence aussitôt, vers la montagne. Frère Marie-Albéric part d’Alexandrette le jeudi 10 juillet dans l’après-midi, avec un Père de Notre-Dame du Sacré-Cœur arrivé la veille pour le chercher. « Nous avons marché toute la nuit et la journée du lendemain, sauf cinq heures de halte, montés sur des mulets, escortés de trois Turcs armés ; le vendredi à six heures, nous sommes arrivés à Notre-Dame du Sacré-Cœur, ensemble de maisonnettes en planches et en pisé, couvertes de chaume »

Ce monastère était une abbaye improvisée, établie en 1882 dans les montagnes du Nord de la Syrie, par les Trappistes de Notre-Dame des Neiges, comme un refuge, s’ils venaient à être obligés de quitter la France.

Le domaine s’appelle Cheiklé et fait partie du vilayet d’Adana. Pour s’y rendre, on sort d’Alexandrette par la route d’AIep. Elle monte d’abord un peu, puis la montée devient fort dure. Il faut franchir, en effet, la chaîne des monts Amanus.