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d’incidents, où les mots abstraits abondent et où la pensée maîtresse reste suspendue jusqu’au verbe final. D’un côté, tout demeurait clarté et simplicité, de l’autre, tout devenait complication voulue. Ajoutez à cela que les habitudes des Allemands d’outre-Rhin sont très différentes de celles des Alsaciens et que, dès lors, même pour la désignation des objets les plus familiers, la terminologie n’est pas la même.

Il y a donc, entre l’allemand et le dialecte alsacien, plus que des différences de prononciation et de syntaxe, le génie même des deux langues varie. L’un est à l’autre ce que le français est au provençal.

De ce qui précède il est permis de conclure que l’allemand classique est effectivement une langue étrangère pour les Alsaciens. Cela est si vrai que jamais deux Alsaciens, même s’ils appartiennent aux classes cultivées, et ont, comme tels, une connaissance approfondie et une pratique courante de la langue officielle, ne s’entretiendront entre eux autrement qu’en dialecte. Quant aux gens du peuple, malgré leur passage par l’école allemande, ils manient très mal l’allemand littéraire et n’y recourent que lorsqu’ils y sont contraints. Leurs lettres fourmillent de fautes d’orthographe, de tournures impropres, d’alsacianismes déconcertants. A l’époque où j’étais vicaire à Mulhouse, j’ai constaté mille fois que les enfants ânonnaient péniblement les explications que je leur demandais de me donner en allemand et qu’ils ne retrouvaient leur pleine liberté d’expression que quand je leur permettais de s’exprimer en dialecte.

Tous ceux qui ont fréquenté les Alsaciens avant la guerre ont pu faire les mêmes constatations. Je pourrais même aller plus loin et affirmer que bon nombre d’anciens élèves de l’Université, parmi ceux qui n’avaient pas de relations personnelles et constantes avec les immigrés, arrivaient rapidement, quand, de par leurs fonctions, ils étaient contraints de parler l’allemand, à se forger une langue à eux qui n’avait plus rien de classique. J’ai ainsi entendu bien des sermons d’une correction linguistique plus que douteuse.

De tout ce qui précède il ressort clairement que l’étude de l’allemand classique présente pour l’Alsacien des difficultés considérables. Assimiler, dans ces conditions, l’allemand écrit à la Muttersprache, à la langue maternelle, c’est se moquer un