Le dialecte renferme encore un grand nombre de mots étrangers plus ou moins déformés. On y trouve par exemple des verbes français conjugués à l’allemande. Toutes les invasions (et Dieu sait si elles furent nombreuses dans nos deux provinces de l’Est) ont déposé quelques alluvions linguistiques dans cet idiome accueillant. La prononciation est également singulière. Toutes les voyelles ont un son franc et un son atténué. Le « oui » du Haut-Rhin n’est pas le ja allemand, il pourrait se figurer par jô, encore l’ô marquerait-il un son intermédiaire entre a et o. De même certaines consonnes, particulièrement les labiales et les dentales, manquent de netteté. B et p, t et d se distinguent à peine l’un de l’autre, si même ils peuvent se distinguer. De là vient la difficulté que les Alsaciens éprouvent à prononcer normalement ces lettres dans les langues étrangères.
Autre singularité du dialecte alsacien. Idiome primitif, qui n’a presque pas évolué, dans sa contexture générale, au cours des siècles, il se prête mal à la discussion de sujets philosophiques. Il est en effet très riche en expressions pittoresques, en images naïves, en termes violents, quand on l’emploie pour les besoins de la vie matérielle, mais il est également d’une pauvreté désespérante quand on lui demande de traduire des idées abstraites. Si peu de langues sont plus caustiques et se prêtent mieux à l’ironie la plus mordante, il n’en est pas de moins sentimentale. C’est à peine croyable, mais le verbe « aimer » (en allemand lieben) n’y existe pas. Les auteurs qui ont essayé d’écrire des pièces de théâtre en dialecte nous ont donné des comédies fort amusantes. Aucun n’a eu le courage d’aborder le drame. Quand, dans les réunions publiques, nous nous servions du dialecte pour traiter des sujets politiques, nous étions constamment obligés de faire des appels à l’allemand littéraire, parce que nous ne trouvions pas dans notre langue d’expressions correspondantes. Mgr Korum, à l’époque où il était curé de la cathédrale de Strasbourg, donna quelques sermons en dialecte. Le succès en fut considérable ; mais l’orateur dut, lui aussi, faire des emprunts au haut allemand pour exprimer des pensées que le dialecte se refusait à traduire.
Ces oppositions n’ont fait que s’accentuer avec le temps. Tandis que le dialecte alsacien évoluait à peine, l’allemand des professeurs devenait cette langue savante, touffue, coupée